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L'œil du médecin d'adolescents

Publié le 26 nov 2020Lecture 7 min

Alerte excision : comment aider les adolescentes ?

S. LEFRANC, C. REYSALMON, N. SOUSSY, Unité médicojudiciaire, hôpital HôtelDieu (APHP)

Fatoumata, originaire de Guinée et arrivée en France il y a 5 mois, est âgée de 13 ans lorsqu’elle est vue en consultation dans le cadre d’une procédure de demande d’asile auprès de l’Office français de protection des réfugiés et des apatrides (OFPRA). Un certificat médical de non-excision est systématiquement demandé dans ce contexte. Fatoumata et sa mère sont informées du déroulement de l’examen et donnent oralement leur accord pour la réalisation de celui-ci.

L’inspection des organes génitaux externes de cette adolescente met en évidence des stigmates de mutilation sexuelle, avec des lésions cicatricielles au niveau du capuchon clitoridien et de la petite lèvre gauche, correspondant à un type II b dans la classification de l’OMS des mutilations sexuelles féminines (MSF)(1)(figure 1).

Bien qu’il soit fort probable que la mutilation ait été réalisée en Guinée, avant l’arrivée en France, l’absence de certitude sur le lieu de commission de l’infraction impose un signalement adressé au procureur de la République.

Les mutilations sexuelles féminines Définition des mutilations sexuelles féminines (MSF) Les mutilations sexuelles féminines désignent toutes les interventions pratiquées sur les organes génitaux externes féminins sans raison médicale. Il s’agit de pratiques traditionnelles très répandues, constituant selon la Convention d’Istanbul « une violation grave des droits humains des femmes et des filles » que ne sauraient justifier « la culture, la coutume, la religion, la tradition ou le prétendu honneur »(1). La forme la plus fréquemment observée en France est l’excision (ablation d’une partie du clitoris et des petites lèvres) qui représente environ 80 % des cas. Elle est pratiquée essentiellement en Afrique, mais également dans certaines parties d’Asie et du Moyen-Orient. Selon les pays, elle est réalisée principalement chez le nourrisson et la jeune fille avant l’âge de 15 ans(2). Les recommandations de bonne pratique sur la prise en charge des MSF par les professionnels de santé de premier recours dans lesquelles figure la classification de l’OMS des différents types de MSF ont été publiées en février 2020 par la Haute Autorité de santé (HAS)(3). Quelques chiffres Selon les dernières publications de l’UNICEF, au moins 200 millions de filles et de femmes ont été victimes de mutilations sexuelles et 30 millions de filles risquent d’en être au cours des 10 prochaines années. Bien que la majorité d’entre elles vivent dans 30 pays d’Afrique et du Moyen-Orient, on estime que 5 % vivent en Europe, dont environ 53 000 résident en France(4). La demande de certificat de non-excision dans le cadre d’une demande d’asile auprès de l’OFPRA s’inscrit dans un dispositif de protection des mineures contre un risque de MSF. Ce certificat médical visant à constater l’absence de mutilation sexuelle, est rédigé par un médecin au sein d’un service agréé (unité médico-judiciaire). Il est transmis à l’OFPRA et une copie est remise en main propre aux parents ou représentants légaux. Le décret de septembre 2018 stipule que l’OFPRA doit observer un délai minimal de 3 ans entre deux examens, sauf s’il existe des motifs réels et sérieux de penser qu’une mutilation sexuelle a effectivement été pratiquée ou pourrait être pratiquée(5). Lorsque l’OFPRA établit que la jeune fille est exposée à un risque de mutilation sexuelle féminine dans son pays, la France garantit l’asile mais, dans le même temps, interdit le retour dans le pays d’origine pendant la minorité. S’il est établi que la mère est excisée et sa fille indemne, le risque de MSF s’avère important et la demande sera examinée avec une attention toute particulière. Quelques indicateurs de risques de MSF chez une mineure originaire d’un groupe ethnique à risque : –          mineure née d’une mère qui a subi une MSF ; –          mineure confiant au professionnel de santé qu’elle va participer à une « fête », un rituel particulier, comme « un baptême », à une occasion de « devenir femme » ; –          parents envisageant un voyage ou un retour au pays d’origine, où sont pratiquées des MSF ; –          parent ou membre de la famille exprimant son inquiétude quant à un risque de MSF ; –          mineure demandant de l’aide à un adulte car elle pense être à risque de subir une MSF. Derrière la procédure, ne pas oublier l’adolescente ! Le consentement L’examen nécessite du tact et doit être réalisé dans le respect de la personne. Le consentement est le préalable à tout examen, y compris chez la mineure. Le professionnel de santé s’attachera à répondre à toutes les questions de la mineure et à lui expliquer les résultats de l’examen à l’aide d’outils pédagogiques, comme des dessins, schémas ou mannequins. L’examen gynécologique de l’adolescente En dehors des MSF, au cours de l’adolescence, il est recommandé de pratiquer au moins un examen des organes génitaux externes afin de s’assurer du bon déroulement pubertaire. Comme pour tout examen clinique, il est nécessaire de : – parler à la mineure de façon adaptée à son âge et à son degré de compréhension ; – lui expliquer les modalités et la finalité de l’examen ; – rechercher une symptomatologie génitourinaire à l’interrogatoire ; – s’enquérir de ses besoins en matière de sexualité ; – prendre le temps de rassurer l’adolescente quant à « sa normalité ». Certaines pathologies vulvaires peuvent, pour le clinicien non averti, avoir une apparence semblable à celles de stigmates de MSF (par exemple, la coalescence des petites lèvres, etc.). En cas de doute diagnostique, il est recommandé d’adresser la mineure à un confrère expérimenté. Le refus de l’examen Si l’adolescente manifeste une opposition verbale ou non verbale (serre les jambes, pleure…), il faut essayer de comprendre ce qui sous-tend ce refus et garder en tête l’hypothèse d’un traumatisme à connotation sexuelle, quelle qu’en soit la nature. Il est possible d’ouvrir le dialogue par des questions indirectes telles que « J’ai rencontré des jeunes filles de ton âge qui m’ont dit… » montrant la disposition du médecin au dialogue. En cas de refus persistant, il faut lui permettre de reporter la consultation à une date ultérieure. La loi qui punit est aussi la loi qui protège L’article 22614 du Code pénal permet la révélation d’une information à caractère secret dans les cas de « privations ou de sévices, y compris lorsqu’il s’agit d’atteintes ou mutilations sexuelles », dont la personne a eu connaissance et qui ont été « infligées à un(e) mineur(e) ou à une personne qui n’est pas en mesure de se protéger en raison de son âge ou de son incapacité physique ou psychique ». Dans ce cas, le signalement aux autorités ne peut faire l’objet d’aucune sanction(6). Depuis 2013, un nouvel article a été introduit dans le Code pénal (article 227241) pour renforcer la protection des mineur(e)s : « Le fait de faire – ou d’inciter quelqu’un à faire – à un mineur des offres ou des promesses […] ou d’user contre lui de pressions ou de contraintes de toute nature afin qu’il se soumette à une muti lation sexuelle est puni, lorsque cette mutilation n’a pas été réalisée, de 5 ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amen de. Est puni des mêmes peines le fait d’inciter directement autrui, par l’un des moyens énoncés au premier alinéa, à commettre une mutilation sexuelle sur la personne d’un mineur, lorsque cette mutilation n’a pas été réalisée(7) ». La conduite à tenir pour le médecin Face à un constat de MSF ou à un risque imminent de MSF, le professionnel de santé doit faire un signalement en urgence, c’est-à-dire informer le procureur de la République par écrit avec accusé de réception. Une copie de ce courrier est toujours envoyée à la Cellule départementale de recueil, d’évaluation et de traitement des informations préoccupantes (CRIP). Afin d’aider le médecin dans cette démarche, un modèle de signalement a été élaboré en concertation entre le ministère de la Justice, le ministère de la Santé, de la Famille et des Personnes handicapées, le ministère délégué à la Famille, le Conseil national de l’ordre des médecins et les associations de protection de l’enfance(8). Le médecin n’encourt aucune sanction pénale ou disciplinaire si le signalement a été fait dans les conditions prévues par l’article 22614 du Code pénal. Le procureur de la République dispose d’un pouvoir de protection de l’enfant, allant de la saisine du juge des enfants par requête, en assistance éducative, à la décision d’une ordonnance de placement provisoire, si celuici l’estime nécessaire. La prévention La prévention est un levier primordial dans la lutte contre les MSF. En parler, bien sûr en adaptant son discours au degré de compréhension à la patiente, permet de lever le tabou et parfois de libérer la parole. Informer et sensibiliser les jeunes sur l’existence de ces mutilations et leurs conséquences dangereuses sur la santé sexuelle est important. Le professionnel de santé peut également s’appuyer sur les structures (protection maternelle et infantile, planning familial et associations) qui existent afin de favoriser l’écoute de la patiente. Rubrique réalisée par Renaud de TOURNEMIRE

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