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Endocrinologie-Diabétologie

Publié le 26 nov 2020Lecture 7 min

TSH : quand la faire et qu’en faire ?

Jessica AMSELLEM-JAGER, Régis COUTANT, Endocrinologie-diabétologie-nutrition pédiatriques, CHU d’Angers

Demander un bilan hormonal thyroïdien chez un enfant est très facile, mais doit répondre à deux questions : La raison pour laquelle ce bilan est demandé est-elle valable ? Le résultat aura-t-il une implication thérapeutique ?

Les 2 dysthyroïdies acquises les plus fréquentes chez l’enfant sont l’hypothyroïdie par thyroïdite de Hashimoto (encadré 1) et l’hyperthyroïdie par maladie de Basedow (encadré 2). La prévalence de l’hypothyroïdie par thyroïdite de Hashimoto chez l’enfant et l’adolescent est de l’ordre de 1,3/1 000 (celle des anti-corps (Ac) antithyroïdiens est de l’ordre de 4-5 % chez l’adolescent), celle de l’hyperthyroïdie par mala-die de Basedow est de 1/5 000 (incidence de 5/100 000 enfants/an). Les signes cliniques de l’hypertyroïdie sont en général bruyants, et le délai diagnostique est peu important, à l’exception de quelques pièges diagnostiques. Les signes cliniques de l’hypothyroïdie sont peu spécifiques : ce caractère explique à la fois que des bilans thyroïdiens soient souvent prescrits par excès, devant des signes ne le justifiant pas, et également que le retard diagnostique est fréquent, en raison de la méconnaissance des signes qui justifieraient un tel bilan. Nous allons détailler les signes et circonstances qui justifient d’un bilan thyroïdien, ceux qui ne le justifient pas, le cas de l’excès pondéral, ainsi que l’interprétation d’un bilan prescrit. Nous n’aborderons pas dans cet article les dysthyroïdies néonatales. Bilan thyroïdien : quand ne pas le faire ? Les signes cliniques de l’hypothyroïdie tels que la frilosité, la fatigue, la prise de poids, la baisse de moral, la peau sèche, la constipation et les crampes musculaires(1) sont des plaintes très fréquentes de la population en général. Ces signes sont les raisons les plus fréquentes de la prescription d’un bilan thyroïdien. Aucun ne justifie, s’il est isolé, la prescription d’un tel bilan. Ceci est vrai même si la pression peut être forte de la part de la famille : « Il/elle est souvent fatigué(e) » ; « Il/elle prend du poids alors que l’on fait très attention » ; « Docteur, êtes-vous certain(e) qu’il n’y a pas un problème hormonal ? » Telles sont les phrases souvent entendues en consultation. Le bilan thyroïdien est justifié lorsque ces signes, peu spécifiques, sont associés à des signes plus spécifiques (détaillés ci-dessous), ou lorsqu’il existe une association de signes de degré sévère. Bilan thyroïdien : quand le faire ? Il est justifié Chez un enfant qui grandit mal (et d’autant plus s’il grossit « trop bien ») : ceci peut être dû à une hypothyroïdie. Si l’enfant ou l’adolescent présente un goitre (d’où l’importance de palper la thyroïde chez l’enfant en sachant que le lobe thyroïdien a approximativement la taille de la phalange terminale de son pouce). Un goitre est constaté chez 3 % des adolescents (en palpation systématique) : la moitié d’entre eux sont associés à des anticorps antithyroïdiens (thyroïdite de Hashimoto), l’autre moitié correspond à un goitre colloïde de l’adolescence. Si les signes (frilosité, fatigue, prise de poids, baisse de moral, peau sèche, constipation, crampes musculaires, difficultés scolaires) sont associés et/ou intenses : à partir de 3 signes ou plus (mais pas avant), la fréquence de l’hypothyroïdie augmente. S’il existe un terrain prédisposant à la thyroïdite auto-immune, un bilan est justifié en présence de signes compatibles avec une hypothyroïdie, même discrets : 28 % des enfants atteints de trisomie 21 ont des auto-anticorps antithyroïdiens (et seulement 25 % d’entre eux une hypothyroïdie avérée avec TSH > 10 mUI/L, justifiant un traitement par lévothyroxine) ; 10 % des enfants atteints de syndrome de Turner ont des auto-anticorps ; 10-20 % des enfants atteints d’un diabète de type 1 ont des auto-anticorps (1-5 % d’entre eux ont une hypothyroïdie avec TSH 10 mUI/L, justifiant un traitement par lévothyroxine) ; 10 % des enfants atteints de maladie cœliaque ont des auto-anticorps (1 % d’entre eux a une hypothyroïdie avérée). Si on découvre une dyslipidémie chez un enfant. S’il existe des signes d’hyperthyroïdie : ces signes sont souvent bruyants et d’apparition récente. Cas particulier de l’enfant en excès pondéral Le bilan se justifie chez un enfant en situation d’obésité s’il grandit mal et/ou s’il présente un goitre et/ou une frilosité et/ou un retard développemental ou scolaire. Et dans aucun autre cas : l’obésité commune est associée à une croissance normale, voire un peu supérieure à la taille cible génétique (dans l’enfance). Pourquoi ne surtout pas demander un bilan thyroïdien chez un enfant obèse sans autre signe : parce que l’obésité commune peut être associée (dans 10 à 20 % des cas) à une adaptation secondaire de la fonction thyroïdienne(3). Cette adaptation consiste en une TSH discrètement élevée (entre 4 et 6 mUI/L), une T4 libre à la limite inférieure de la normale, et une T3 libre à la limite supérieure de la normale. Cette adaptation correspond à une augmentation de la production de T3 (la forme active des hormones thyroïdiennes), à une augmentation de la conversion de T4 (la forme de réserve des hormones thyroïdiennes) en T3, et à un accroissement discret de la TSH (qui entraîne une augmentation de la production des hormones thyroïdiennes). La finalité de cette adaptation est l’augmentation du métabolisme de base (et de la dépense énergétique). D’où la frilosité absente dans l’obésité commune (c’est l’inverse : un enfant en obésité commune a très souvent et facilement chaud). Le bilan thyroïdien se normalisera lors de la perte de poids. Cependant, cette physiologie est difficile à expliquer si le bilan a été prescrit à un enfant en surpoids sans autre justification. Car l’altération, bien que secondaire au surpoids et non pas causale, alimente souvent un mécanisme psychique de protection : l’origine du surpoids (et donc la prise en charge) deviennent « extérieures » à la bonne volonté de l’enfant et de sa famille. Surtout pas de supplémentation thyroïdienne dans cette situation ! Cas clinique Naissance à 36 SA et 4 j ; TN 46 cm ; PN 2 670 g (RCIU). Taille cible génétique : 161,5 cm. Pas d’antécédent. Consulte à 13 ans et 4 mois pour insuffisance staturale. Puberté cotée A1P4S4. Parmi le bilan d’exploration de retard statural, voici les résultats du bilan thyroïdien : TSH > 150 mUI/L, T4L 4,8 pmol/L, anticorps anti-TPO 31 970 U/mL, anticorps anti-thyroglobuline 1988 mUI/L. Ce que l’on constate (figure 1) : croissance régulière sur les -2DS puis infléchissement staturale vers 9 ans et demi (flèche bleue), la croissance pondérale est régulière, retard diagnostique de l’hypothyroïdie auto-immune de Hashimoto = 4 ans. La substitution par hormones thyroïdiennes (flèche jaune) permet la relance de la croissance. L’interprétation d’une TSH La TSH doit être prescrite isolément uniquement si l’on suspecte une hypothyroïdie primaire ou une hyperthyroïdie (quasiment toujours primaire). Devant un infléchissement statural, il faut prescrire une TSH et une T4L : en effet, celui-ci peut être dû à une hypothyroïdie primaire, mais aussi à une insuffisance hypophysaire (par exemple un craniopharyngiome). La TSH seule ne suffit pas (tableau 1). Attention : il existe un risque de diagnostiquer de faux positifs de la maladie de Basedow en cas de prise de biotine exogène et si le laboratoire utilise des trousses de dosage basées sur la liaison streptavidine-biotine. En effet, les résultats trompent parfaitement : la TSH est effondrée, les T4L et T3L sont augmentées et les anticorps anti-récepteurs de la TSH sont positifs (car la prise de biotine interfère avec toutes ces mesures). Dans ce cas, il y a souvent une incohérence avec la clinique (pas de signe franc d’hyperthyroïdie alors que le bilan est perturbé de manière majeure) : demandez un nouveau bilan dans un autre laboratoire utilisant un kit de dosage sans interférence avec la biotine. Et l’hypothyroïdie subclinique(3,5) ? Elle correspond à une mesure de TSH entre 4,5 mUI/L et 10 mUI/L, avec une T4L normale. Les causes d’hypothyroïdie subclinique sont indiquées dans l’encadré « hypothyroïdie subclinique ». Il est recommandé de ne pas traiter (et de contrôler le bilan tous les 6 à 12 mois) sauf si le patient a un goitre important. Il n’y a pas d’impact négatif sur la santé de l’enfant ou de l’adolescent en cas d’hypothyroïdie subclinique : pas de facteur de risque cardio-vascu-laire augmenté (pas de modification significative sur les pressions artérielles/HDL cholestérol/glycémie) et pas d’effet neurocognitif négatif significatif. Causes des hypothyroïdies subcliniques : thyroïdite de Hashimoto ; hyperthyrotropinémie néonatale persistante (elle est parfois due à d’authentiques anomalies moléculaires : mutation du récepteur de la TSH, mutation DUOX2) ; syndromes génétiques (trisomie 21, pseudohypoparathyroïdie de type 1a, syndrome de Turner, syndrome de Klinefelter, syndrome de Williams-Beuren) ; carence en iode ; traitement médicamenteux (a miodarone, INF-α, antiépileptique) ; irradiation thyroïdienne ; obésité ; idiopathique. L’histoire naturelle des hypothyroïdies subcliniques auto-immunes montre (tableau 2) que la probabilité qu’un traitement par lévothyroxine soit nécessaire 5 ans plus tard est au maximum de 25 %. Chez un enfant, traiter une thyroïdite veut dire traitement à vie, donc pour les 80 années suivantes ! Il ne faut traiter que si c’est absolument nécessaire.

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