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Douleur

Publié le 19 mai 2021Lecture 7 min

L’échographie dans les douleurs abdominales de l’enfant aux urgences - Une prescription raisonnée pour un examen de référence

Alain MARTINOT, Pôle enfant, CHU et université de Lille

L’échographie est l’examen de référence pour explorer l’abdomen des enfants du fait de ses excellentes performances diagnostiques dans nombre de situations d’urgences abdominales, de son caractère non invasif et non irradiant, de l’absence de nécessité de sédation. Ses qualités ne doivent cependant pas conduire à des indications « réflexes » dénuées de raisonnement diagnostique devant toute douleur abdominale vue aux urgences !

Les douleurs abdominales représentent plus de 3 % des motifs de consultation aux urgences pédiatriques et motivent 20 % des demandes d’imagerie. La hantise est d’ignorer ou de retarder le diagnostic d’une urgence, chirurgicale ou médicale. La démarche diagnostique comporte avant tout un interrogatoire et un examen clinique complet. Les examens com - plémentaires, en premier lieu l’échographie abdominale, peuvent être utiles pour confirmer ou infirmer une hypothèse diagnostique, dont la probabilité ne permettait pas de prendre une décision. La place limitée des autres examens d’imagerie Les indications de radiographie d’abdomen sans préparation sont devenues exceptionnelles, car l’examen est irradiant et rarement contributif : forte suspicion d’occlusion intestinale, maladie de Hirschsprung, exacerbation aiguë de maladie inflammatoire chronique de l’intestin (suspicion de perforation, occlusion, colectasie), et ingestion de corps étranger. Les in dications de l’imagerie par résonance magnétique (IRM) ab dominale sont en augmentation, mais rarement disponibles en urgence : suspicion d’anomalies bilio-pancréatiques, complications de la maladie de Crohn, pathologie gynécologique chirurgicale. La tomodensitométrie (TDM) a une place limitée chez l’enfant dans l’exploration des syndromes appendiculaires, en raison de son irradiation. Elle est utile dans le diagnostic étiologique de certains syndromes occlusifs du grand enfant, chez l’obèse, dans le diagnostic des pancréatites et des masses abdominales. Pourtant, l’enquête menée en 2015 auprès des pédiatres et radiologues montrait que, sur le terrain, dans 25 % des cas, des TDM étaient réalisées en cas de suspicion d’appendicite aiguë (AA) faute de radiologue pouvant faire l’échographie en urgence. Les risques des échographies inutiles ou trop longues à obtenir Les risques pour l’enfant sont ceux de retarder une intervention urgente telle qu’une torsion du cordon spermatique, une péritonite appendiculaire (avec l’habitude de ne plus opérer une AA sans preuve échographique), et de générer stress et inconfort. Le risque est aussi de surcharger le radiologue et de retarder des examens utiles chez d’autres malades, mais aussi d’allonger les temps d’attente et les durées de passage aux urgences, désorganisant les soins et générant des coûts indus. La réalisation d’un examen chez un enfant dont le diagnostic apparaît extrêmement probable expose à une interprétation difficile de résultats négatifs, car c’est dans cette population où la prévalence de la maladie est la plus élevée que la proportion de faux négatifs est la plus forte (plus la prévalence est élevée, plus la valeur prédictive négative est faible et donc plus le taux de faux négatifs est élevé). À l’inverse dans la population où le diagnostic est très improbable, la proportion de faux positifs est la plus élevée. L’appendicite aiguë C’est la plus fréquente des affections chirurgicales, avec une prévalence de 7 %. L’objectif est d’améliorer le diagnostic pour diminuer le taux d’interventions sur appendice sain (quel risque est-on prêt à accepter ?) tout en limitant le taux d’AA compliquée (quel risque est-on prêt à accepter ?)(1). La réduction de l’incidence des appendicectomies en France entre 1997 et 2013, de 68 % chez les 10-14 ans et 76 % chez les moins de 5 ans, a été permise par l’imagerie. Une imagerie préopératoire était réalisée chez 99 % des 541 enfants opérés pour suspicion d’AA dans les hôpitaux hollandais en 2014, dont une échographie seule dans 92 % des cas. Le taux d’appendice normal était de 3,1 % et d’AA compliquée de 29,4 %(2). Les critères échographiques d’AA sont : un diamètre > 6 mm, qui tend à être remplacé par : « 6 à 8 mm = équivoque, et > 8 mm = positif » ; le caractère non compressible sous la sonde ; une épaisseur pariétale > 3 mm ou une hyperhémie ; une obstruction et distension par du liquide ou la présence d’un stercolithe. Les autres critères peuvent être une hyperéchogénicité de la graisse péri appendiculaire, la présence de liquide péricæcal, d’un phlegmon ou abcès, d’adénopathies mésentériques régionales(3). Les faux négatifs résultent souvent d’une absence de visualisation de la partie distale de l’appendice. Le taux de visualisation complète de l’appendice était en moyenne de deux tiers des cas dans la littérature, mais très variable selon l’expérience de l’opérateur, les sondes, la position du patient, la durée consacrée(3). Les faux négatifs sont plus fréquents en cas d’AA perforée (inflammation de la région avec ou sans appendice vu, collection ou abcès). Les faux positifs correspondent à d’autres structures inflammatoires (adéno-iléites) ou à une appendicite régressive. Les performances de l’échographie dans le diagnostic d’AA sont bonnes : le rapport de vraisemblance positif (RVP) est compris dans les méta-analyses entre 14 et 19, et le rapport de vraisemblance négatif (RVN) entre 0,05 et 0,13(4). Les performances restaient excellentes (RVP = 18 et RVN = 0,09) pour un second examen après une échographie initiale non contributive et une phase d’observation(5). À titre de comparaison, les RVP des signes cliniques pris isolément sont faibles (< 2 pour vomissements, fièvre, anorexie, migration de la douleur, 3 pour défense et douleur à la décompression). Leur association couplée à des données biologiques a fait l’objet de scores. Le score PAS, développé et validé chez l’enfant, est le plus utilisé(6). Les probabilités selon le score sont indiquées dans la figure qui illustre le raisonnement probabiliste en cas d’AA et comment les performances de l’échographie permettent de faire varier la probabilité pour prendre une décision d’intervention ou de retour à domicile. Figure. Appendicite aiguë (AA) : le raisonnement diagnostique probabiliste. En cas de doute persistant, la surveillance clinique et un nouvel examen quelques heures plus tard par un chirurgien, éventuellement associés à une deuxième échographie constituent les moyens diagnostiques les plus performants. L’invagination intestinale aiguë (IAA) Elle est la cause la plus fréquente d’occlusion chez l’enfant de 3 à 36 mois. L’échographie est l’examen de référence en visualisant et localisant la tête du boudin d’invagination, avec des performances remarquables : RVP = 50, RVN = 0,02(7). La valeur prédictive négative était de 99,7 % dans une population d’enfants ayant une échographie pour suspicion d’IIA dont la prévalence était de 14 %. Elle permet aussi de repérer les 6 % d’IIA sur lésion pathologique (diverticule de Meckel, duplication kystique, purpura rhumatoïde, polype ou lymphome), et les complications (épanchement péritonéal, pneumatose, liquide au sein de l’IIA, perforation), mais aussi de prédire le succès de la réduction et de suivre la réduction pneumatique. Les autres diagnostics • Lors de torsion du cordon spermatique, la douleur peut irradier à l’abdomen, ou être décrite par pudeur à l’abdomen, ce qui justifie l’examen systématique des bourses. Le diagnostic est clinique et une exploration chirurgicale pratiquée au moindre doute. Une torsion du cordon spermatique était présente dans 26 % des cas de douleur scrotale aiguë ayant eu une exploration chirurgicale, et une torsion d’hydatide dans 45 %(8). L’échographie, si elle ne retarde pas la chirurgie, présente un intérêt en cas de douleur testiculaire douteuse, et dans les formes vues tardivement. Elle montre un gros testicule, le plus souvent avec hypoéchogénicité diffuse, mais peut être normale dans les 2 à 4es heures. S’il montre une absence complète de flux détectable, le Doppler couleur est utile pour confirmer le diagnostic, mais la présence d’un flux n’exclut pas une torsion incomplète ou intermittente. • En cas de torsion d’annexes chez la fille, la douleur abdomino- pelvienne typiquement de début brutal, est en fait subaiguë dans un tiers des cas. L’échographie transabdominale montre un ovaire augmenté par comparaison à l’ovaire controlatéral (ratio de surface > 5) et la torsion est rare si la taille de l’ovaire (± d’une masse associée) est < 5 cm. En absence de masse (40 à 70 % des cas), l’échographie montre un oedème du stroma ovarien avec une répartition périphérique des follicules(9). Les faux positifs sont représentés par les kystes hémorragiques. La persistance d’un flux est rassurante sur la viabilité de l’ovaire. Si l’écho est douteuse et si cela ne retarde pas la laparoscopie, l’IRM peut montrer la spire de torsion. Une exploration chirurgicale est nécessaire au moindre doute. • Les autres indications de l’échographie devant une douleur abdominale peuvent être : en cas de purpura rhumatoïde avec douleurs très intenses et/ou hémorragie digestive, la recherche d’une complication : IIA, hématome étendu de la paroi digestive, ou simple épaississement pariétal ; en cas de hernie inguinale dont le diagnostic est clinique, pour le diagnostic différentiel avec le kyste du cordon, et en urgence uniquement devant une hernie étranglée non réductible ; pour le diagnostic de lithiase vésiculaire ou de cholécystite ; pour confirmer une pancréatite aiguë, mais l’échographie est souvent normale au début, parfois gênée par un iléus réflexe et le TDM a une sensibilité supérieure ; le diagnostic d’une lithiase urinaire, d’une dilatation des voies urinaires ou d’un abcès dans le bilan d’une pyélonéphrite aiguë ; la confirmation d’un hématocolpos devant des douleurs abdominales cycliques, avec une éventuelle masse palpable, et après examen vulvaire. Conclusion L’échographie est l’imagerie de référence pour explorer l’abdomen des enfants, mais elle ne remplace pas l’examen clinique, notamment du chirurgien, et ne doit être demandée que pour confirmer ou infirmer une hypothèse diagnostique dont la probabilité sur les seules données cliniques ne permet pas de prendre une décision. Elle ne doit enfin pas retarder une intervention urgente.

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