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Pédiatrie générale

Publié le 06 oct 2016Lecture 12 min

Jeux d’asphyxie : repérer et orienter

I. CLAUDET, service d’accueil des urgences pédiatriques, hôpital des enfants, CHU de Toulouse

Les jeux de non-oxygénation se pratiquent dès l’école maternelle et exposent les enfants à de graves complications, ainsi qu’à un risque de mortalité. Le diagnostic doit être évoqué à chaque fois que des symptômes évocateurs sont présents. Il importe de connaître ces signes afin d’orienter ces enfants vers une prise en charge adaptée.

Les jeux de non-oxygénation (JNO) sont connus et pratiqués tôt, dès l’école maternelle. Ce constat d’abord évoqué par deux sondages issus d’instituts français et par les associations de parents d’enfants victimes (association de parents d’enfants accidentés par strangulation APEAS : www.jeudufoulard.com, association SOS Benjamin : www.jeuxdangereux.fr) a été confirmé par deux études françaises récentes interrogeant des élèves en classes élémentaires de CE1 et CE2 dans l’académie de Toulouse, et de CE2, CM1 et CM2 dans l’académie d’Arras. Indépendamment du type de jeu, la prévalence moyenne retrouvée dans l’étude toulousaine est élevée (40 %). En 2007 et 2012, deux enquêtes téléphoniques ont été menées par deux instituts de sondages français (TNS-Sofres et Ipsos Public Affairs) sur un échantillon représentatif de parents et leurs enfants (présents à la maison au moment de l’appel), âgés respectivement de 7 à 17 ans (n = 489, 26 % âgés de 7 et 8 ans) et de 6 à 15 ans (n = 1 012, répartition des âges non fournie). Le taux de connaissance de tels jeux était globalement similaire à celui de notre étude (70 % en 2007 et 54 % en 2012), donc stable dans le temps et reproductible. Chez les jeunes enfants, les deux pratiques les plus alléguées sont le jeu de la tomate et le jeu du foulard(1-3). Il existe des différences de prévalence selon le type de jeu et le sexe. Dans notre étude, les garçons se distinguaient aussi par un taux plus élevé de joueurs multi-jeux. Cette pratique ne répond pas aux mêmes motivations chez les jeunes enfants et les adolescents. Les premiers sont curieux de nouvelles expériences à partager ou de pratiques collectives « parce que tout le monde y joue à l’école »(1-3). Il s’agit d’un phénomène de groupe, d’intégration à un groupe, sans relation avec un profil psychologique particulier, à la différence de la poursuite de pratiques solitaires ou des pratiques à l’adolescence. Chez les collégiens et lycéens, les pratiques isolées sont reconnues pour être associées à une mortalité plus élevée (absence de possibilité de secours immédiat). La moyenne d’âge des décès secondaires est de 13 ans, mais rapportée dès l’âge de 7 ans(4-7). De telles pratiques isolées sont rares chez les très jeunes enfants, et devraient être orientées vers une consultation pédopsychiatrique. Il est indispensable d’en reconnaître les symptômes associés, et d’y penser face à certains signes. Actuellement, cette reconnaissance est faible dans le milieu médical libéral, hospitalier ou scolaire car ces pratiques sont encore mal connues.   Mécanismes des pratiques asphyxiques Pour permettre l’association entre cause et signes ou symptômes, il faut se rappeler les différents mécanismes détaillés ci-après pour les jeux les plus fréquents : • Jeu de la tomate Le but est de devenir aussi rouge qu’une tomate. Cette pratique procède d’une apnée et d’une manœuvre de Valsalva. Ceci contribue à une augmentation de la pression intrathoracique et une diminution du retour veineux céphalique, générant une hyperhémie, une érythrose faciale, voire un malaise. • Jeu du cosmos, Rêve indien, Rêve bleu, 30 s de bonheur et équivalents Tout débute par une phase d’hyperventilation en position accroupie (baisse de la pression artérielle en CO2, vasoconstriction et réduction du débit sanguin cérébral [DSC]) suivie d’un lever brutal (hypotension orthostatique associée majorant la diminution du DSC) et d’une apnée ou une compression thoracique par un tiers (diminution retour veineux céphalique). L’ensemble conduit à une perte de connaissance, une syncope, souvent associée à des convulsions. L’enfant est souvent hagard, confus pendant plusieurs minutes. • Jeu du foulard, jeu d’auto ou hétéro-étranglement par des liens La compression des vaisseaux cervicaux entraîne à la phase initiale (stase) une hyperhémie et une érythrose du visage, puis si la compression se poursuit, elle se traduit par la rupture de petits vaisseaux capillaires (pétéchies du visage, traces de lien), une augmentation de la pression intra oculaire (hémorragies conjonctivales bilatérales) puis des effets de l’hypoxémie et de l’anoxie (perte de connaissance, convulsions, décès). Si l’enfant ou l’adolescent était seul (pratique isolée), l’apparition de troubles de conscience rend impossible la levée du lien, cette phase est irréversible et létale.   Exemples d’admissions aux urgences du CHU de Toulouse Le premier cas est celui d’un jeune garçon âgé de 8 ans, retrouvé dans les toilettes d’un fast-food par sa famille qui s’inquiétait de ne pas le voir revenir à table. Il est admis pour « malaise » dans l’unité par les pompiers. Le deuxième cas est celui d’un garçon âgé de 9 ans qui présente un « malaise » après avoir joué au football, et chez lequel l’examen clinique retrouve un hématome frontal. Enfin, le troisième cas est celui d’un garçon âgé de 7 ans qui, alors qu’il était assis au repos en cours de gym, se plaint de flou visuel, sent qu’il va tomber avant de rapidement récupérer, sans avoir présenté de réelle perte de connaissance, de mouvements anormaux ou de perte d’urines. Sans un interrogatoire permettant d’orienter sur l’une de ces pratiques, la cause n’aurait sans doute pas été retrouvée. Tous ces enfants avaient pratiqué un « jeu » d’asphyxie avant les symptômes. Ces symptômes étant peu spécifiques, nous passons tous à côté d’un bon nombre d’entre eux dans nos cabinets ou services d’urgence.   Signes cliniques visibles Selon le mécanisme et la durée de la manœuvre, les signes suivants sont décrits : – pétéchies du visage (pommettes, paupières, joues) ; – injection bilatérale de la conjonctive bulbaire, hémorragie conjonctivale (surtout si bilatérale) ou blood shot eyes (formes sévères) ; – une ou des traces de lien circulaires cervicales. Tous ces signes peuvent être isolés ou associés. Face à une atteinte oculaire il faudra, si l’âge le permet, rechercher une amputation du champ visuel, et demander une consultation ophtalmologique à la recherche d’une rétinopathie de Valsalva. Elle se traduit par des hémorragies (unique ou multiples) prérétiniennes par rupture des vaisseaux dans le cadre d’un effort à glotte fermée(8,9). Face à des ecchymoses à répétition sans cause traumatique évidente ou rapportée, il faut évoquer des contusions liées à des chutes sur malaises itératifs et en particulier sur des localisations céphaliques et thoraciques (compression).   Symptômes évocateurs Ces pratiques devraient être évoquées devant : – tout malaise survenant à l’école (lieu privilégié de pratique de groupe) sans autre cause tangible ; – toute céphalée persistante, répétée sans autre cause ; – toute convulsion non fébrile survenant notamment à l’école, aux toilettes, dans la chambre de l’enfant après l’heure du coucher ; – devant des épisodes de convulsions répétées sans cause évidente : N. Ulrich et coll.(10) ont ainsi décrit le cas d’un adolescent âgé de 14 ans exploré pour des épisodes convulsifs répétés, et chez lequel tout le bilan neurologique s’était révélé normal. Lors de l’épreuve de vidéo EEG, il a été filmé en train de se comprimer manuellement et simultanément les carotides durant 6 secondes suivies d’une traduction électrique durant 10 secondes. – tout bruit de chute dans la chambre de l’enfant – d’autant plus si la porte est fermée et que cela se reproduit régulièrement (pratique isolée). D’autres symptômes doivent attirer l’attention(7,12) : – une modification inhabituelle de la voix en dehors de tout épisode infectieux ORL (raucité d’aggravation croissante) ; – la notion d’acouphènes, de sensation ébrieuse, de scotome visuel ; – un enfant sortant de sa chambre ou des toilettes après avoir passé un moment seul, et semblant confus, désorienté, groggy ; Mais aussi devant : – une baisse inattendue des performances scolaires, des difficultés de concentration, de mémoire ; – une modification aiguë du comportement (enfant agressif), de l’humeur ; – l’apparition d’une asthénie, de troubles du sommeil ; – une attitude d’isolement (l’enfant s’enferme à clé dans sa chambre, dans la salle de bains, les toilettes, etc.), – des modifications vestimentaires (port de col roulé, de foulard) pour masquer les traces de liens ou d’ecchymoses cervicales.   Cas particulier d’un malaise grave Lorsque les équipes médicales préhospitalières sont appelées au chevet d’un enfant ou adolescent retrouvé inanimé avec un lien autour du cou ou pendu, il faudrait l’évoquer. La frontière entre suicide et ce type de pratique est parfois ténue, notamment dans la zone d’âge charnière entre le pic des décès secondaires aux pratiques asphyxiques (13 ans) et le début des suicides par pendaison. L’autopsie ne permet pas toujours de trancher entre les deux causes, ce qui explique que la part des décès relatifs à ces pratiques est probablement sousestimée.   Signes d’alerte environnementaux(13) La disparition de certains liens ou attaches de leur emplacement habituel doit attirer l’attention (laisse du chien, tendeurs, ficelle, cravate, écharpe, etc.) tout comme leur découverte en des lieux inhabituels (crochets fenêtre, barre de lits superposés, poignée de porte, barre de rideaux, anneau de basket, etc.). Parfois, c’est l’usure inhabituelle du mobilier ayant servi de point d’attache du lien qui interpelle, ou la découverte dans l’historique d’internet de recherches sur le sujet (vidéos notamment) ou des différentes dénominations (tableau). Niveau de connaissance de ces pratiques La majorité (98 %) des parents en ont entendu parler, et ils sont conscients du risque mortel (médiatisation jeu du foulard) mais 40 % d’entre eux ne pensent pas que les enfants y jouent dès l’école primaire (enquête TNS-Sofres 2007). Ils sont nombreux à penser (à tort) que leur enfant ne participerait pas à ces jeux… parce qu’il est assez mature, parce qu’il est conscient du danger, parce qu’il en a compris les risques(13). La proportion de parents déclarant avoir abordé spontanément le sujet avec leur(s) enfant(s) est faible (20-30 %). Les médecins associent peu fréquemment certains symptômes à cette cause. Dans une étude menée en 2010 auprès de 865 médecins généralistes et pédiatres et parmi une liste de signes d’alerte, moins de 20 % d’entre eux reconnaissaient les céphalées fréquentes et sévères, les modifications de comportement ou d’humeur (14 %) ou la présence de marques d’usure inhabituelles sur du mobilier (14 %) comme éléments évocateurs(14). Nous devons modifier nos interrogatoires en présence des symptômes cités plus hauts.   Orientation et prise en charge Cette prise en charge doit s’articuler et se reposer sur la victime bien sûr, ses parents, le milieu scolaire (école, rectorat d’Académie) et le médecin de famille.   La prise en charge de l’enfant Elle est double : – immédiate : elle dépend de la gravité des symptômes et des circonstances, elle est multidisciplinaire. Lorsque l’enfant est symptomatique, l’hospitalisation n’est pas systématique mais elle est fréquente (cas des syncopes, malaises, convulsions, troubles neurologiques persistants). Les examens complémentaires dépen dront de la symptomatologie, et pourront comprendre un électroencéphalogramme (à discuter avec le neuropédiatre car non spécifique sur un épisode aigu), un examen ophtalmologique (exercice à glotte fermée). Un lien avec une équipe de pédopsychiatrie sera mis en place, notamment si la notion de pratique isolée et régulière est évidente (risque de décès élevé). – secondaire : instauration d’un suivi pédopsychiatrique des enfants à risque de récidive, si d’autres conduites à risque ont été identifiées.   La prise en charge des parents Ils doivent être informés (sans être alarmés) et rassurés d’autant plus que l’enfant est jeune. Les risques inhérents à des épisodes d’asphyxie répétés doivent être abordés. Une rencontre avec une équipe de pédopsychiatres, de psychologues expérimentés sur de telles pratiques devrait être formalisée. Les coordonnées et liens internet des associations de parents d’enfants victimes seront proposés (APEAS, SOS Benjamin, GASP aux États-Unis, Chousingha en Belgique). Au niveau de l’école, il faut informer le directeur de l’établissement et le rectorat d’académie afin que des réunions d’information sur le sujet puissent être organisées avec les enseignants et infirmières scolaire, mais aussi les autres parents, car d’autres élèves y jouent forcément ! Le médecin ou le pédiatre de la famille doit être avisé : plus les professionnels de santé seront informés et plus ils seront en mesure de reconnaître les symptômes ou signes cliniques tels que décrits plus haut.   Conclusion L’information sur ces pratiques doit être large et régulièrement renouvelée auprès des professionnels de santé, de l’éducation, de la petite enfance, et des parents d’élève. Les équipes médicales (SAMU, SMUR) préhospitalières doivent y être sensibilisées car elles sont souvent les premières et les seules à pouvoir noter un certain nombre d’éléments évocateurs au niveau de l’environnement. Les médecins et pédiatres libéraux ou de services d’urgences doivent modifier leur interrogatoire face à l’évocation de certains symptômes. Les jeunes enfants doivent être informés par des moyens adaptés, sans craindre d’induire ce type de pratique. Évoquer avec eux le risque de handicap lié à des privations répétées en oxygène est souvent plus marquant que de parler de mort, dont le caractère irréversible sera acquis aux alentours de 9 ans. Les adolescents chez lesquels une pratique solitaire a été mise en évidence devront être régulièrement suivis par un pédopsychiatre ou un psychiatre, selon la possibilité, car c’est dans ce groupe que le taux de décès est le plus élevé. 

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