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Comportement

Publié le 18 oct 2019Lecture 10 min

Savoir quoi faire devant un enfant qui ne dort pas ou qui se réveille

Yves CHAIX, service pédiatrie-neurologie, CHU de Toulouse

Le sommeil évolue chez l’enfant jusqu’à l’âge adulte. Une altération de sa durée et de sa qualité peut avoir de multiples retentissements sur la croissance staturo-pondérale, le comportement, l’humeur et les émotions. Quelles sont les causes à rechercher devant un trouble du sommeil et quelle conduite à tenir ? Yves Chaix fait le point sur la question.

Le sommeil est un processus dynamique qui évolue tout au cours de l’enfance jusqu’à l’âge adulte parallèlement au développement psychique, cognitif et physique avec des interactions fortes entre ces différents aspects du développement. Le sommeil normal dépend de l’âge de l’enfant, avec une évolution au cours du temps dans sa durée et son organisation. Le praticien doit connaître la durée normale du sommeil en fonction de l’âge. Bien qu’il existe des variabilités interindividuelles, l’American Academy of Sleep Medicine (Paruthi et coll., 2016), recommande des durées de sommeil précises selon l’âge (tableau 1). L’évolution du sommeil dans son organisation est marquée par la survenue de cycles comprenant deux types de sommeil : du sommeil calme qui devient le sommeil lent (léger et profond) et du sommeil agité qui devient le sommeil paradoxal. Le nouveau-né s’endort en sommeil agité jusqu’à l’âge de 2-3 mois, puis le mode d’endormissement s’inverse. Progressivement, les cycles s’agencent selon un rythme nycthéméral avec alternance de veille et de sommeil, regroupée uniquement la nuit après 5 ans, avec la disparition des siestes (figure). D’une façon générale avec l’âge, on constate une diminution du temps du sommeil total indispensable, mais également une réduction du temps de sommeil paradoxal. Figure. Organisation progressive des cycles veille-sommeil de l’enfance à l'âge adulte. Schématiquement, chaque rectangle blanc représente 1 heure. Les conséquences possibles d’une altération du sommeil chez l’enfant sont multiples (Field, 2017) : – au niveau cognitif, des troubles attentionnels et une altération des processus de consolidation mnésiques, avec pour conséquences un retentissement sur les apprentissages académiques ; – au niveau physique, un retentissement sur la croissance staturo-pondérale et un risque d’obésité ultérieur ; – au niveau psychique, des troubles du comportement et de l’humeur, avec une labilité émotionnelle et un risque de troubles dépressifs. On comprend aisément que la réponse du praticien face à un trouble du sommeil chez l’enfant ne pourra être en aucun cas « Ne rien faire ». Mais alors que faire ? L’insomnie L’insomnie est le trouble le plus souvent rencontré en pédiatrie et intéresserait 20 à 30 % des enfants selon les études. Elle concerne aussi bien des enfants au développement normal que des enfants présentant un trouble du neuro-développement ou une pathologie médicale. L’insomnie sous-entend la difficulté à initier le sommeil, à maintenir le sommeil avec la présence d’éveils nocturnes, les réveils précoces, la résistance au coucher ou la difficulté à s’endormir sans l’intervention d’une tierce personne, associée à un retentissement significatif sur la vie quotidienne et sociale (Maski et Owens, 2017). Elle est chronique par définition lorsque les perturbations du sommeil surviennent au moins 3 jours par semaine pendant au moins 3 mois consécutifs. La première chose à faire est donc de poser le diagnostic d’insomnie à partir de l’interrogatoire et de l’analyse du sommeil en s’aidant d’un agenda du sommeil, réalisé avec les parents, comprenant sur au moins deux semaines les informations suivantes : heure du coucher, latence d’endormissement, nombre et durée des éveils nocturnes, heure du lever, le nombre de sieste, ainsi que leur durée. Le retentissement du trouble du sommeil doit être précisé. La deuxième étape est d’en préciser la cause. On distingue deux types d’étiologies : extrinsèques ou environnementales de loin les plus fréquentes (90 % des cas d’insomnie chez l’enfant) et intrinsèques en lien avec des anomalies structurelles du sommeil qui sont plus rares (10 % des cas d’insomnie). Éducation à l’hygiène du sommeil Dans la première situation de loin la plus fréquente, l’éducation des parents à une hygiène du sommeil prend une place fondamentale. Concernant les recommandations proposées par la fondation américaine pour le sommeil (American Academy of Sleep Medicine) que l’on peut retrouver sur le site www.sleepforkids.org et qui sont résumées dans l’encadré ci-dessus, on insistera plus particulièrement sur la régularité des rythmes de coucher et de réveil, l’apprentissage des limites à son enfant, sur la mise en place de routine adaptée à l’âge dans un contexte de retour au calme au moment du coucher, sur l’importance de proposer un environnement de sommeil adapté en terme de bruit, d’éclairage et de température. L’éducation d’une hygiène du sommeil est donc le volet initial et fondamental de la prévention et de la prise en charge des insomnies de l’enfant. Dans ce volet, le praticien doit être attentif à l’usage des écrans, qui s’est largement développé ces dernières années. Aujourd’hui, les études montrent qu’un écran est présent dans la chambre pour trois quarts des enfants et 60 % des adolescents déclarent regarder ou interagir avec un écran au moment du coucher. D’un point de vue physiopathologique, le spectre de la lumière des écrans est caractérisé par la présence de courtes longueurs d’ondes dans la bande de lumière bleue qui sont des inhibiteurs de la sécrétion de mélatonine. De plus, à ces caractéristiques physiques de la lumière, s’ajoute une caractéristique anatomique, puisque la taille du diamètre pupillaire chez l’enfant est plus importante que chez l’adulte (Le Bourgeois et coll., 2017). On comprend dès lors le rôle potentiellement néfaste des écrans sur le sommeil. Dans une revue récente de la littérature comprenant 67 études entre 1999 et 2014, Hale et Guan (2015) concluent à un effet négatif des écrans (télévision, ordinateur, jeux vidéo, téléphone portable) dans 90 % de ces études, sur la qualité et la durée du sommeil. Thérapie comportementale Le deuxième volet dans la prise en charge est de proposer des techniques de type comportemental : la technique dite d’extinction dont le principe repose sur la suppression ou la diminution progressive de renforcement positif de certains com portements de l’enfant comme les pleurs et/ou les colères qui surviennent au moment du coucher ou la technique de « faded bedtime » qui repose sur le principe que le lit n’est un lieu que pour dormir et que l’enfant doit passer le moins de temps possible à veiller dans le lit. Une métaanalyse publiée en 2014 (Meltzer et Mindell, 2014) montre un effet positif significatif des méthodes comportementales sur plusieurs aspects du sommeil notamment chez les jeunes enfants (< 5 ans) au développement normal. Ces prises en charge comportementales réduisent de façon significative la latence d’endormissement, le nombre et la durée des éveils nocturnes. Selon Lipton et coll. (2008), à côté des insomnies primaires où prédominent les facteurs environnementaux, il existe des insomnies secondaires en lien avec plusieurs affections que l’on peut schématiquement divisées en 4 catégories : les affections primitives du sommeil, les pathologies médicales, les pathologies psychiatriques et les pathologies neurologiques. Le rôle du praticien sera donc de s’interroger systématiquement devant toute insomnie de la possibilité d’une pathologie à l’origine d’un tel symptôme, en sachant que les principes thérapeutiques énoncés précédemment pourront rester utiles dans ces circonstances mais que dans la majorité des cas, le traitement de la cause sera indispensable. Certaines affections primitives du sommeil peuvent engendrer une perturbation du sommeil, en particulier avec des difficultés d’endormissement comme on peut les rencontrer dans le syndrome des jambes sans repos ou le syndrome de retard de phase. Le syndrome d’apnées du sommeil, le plus souvent d’origine obstructive, est responsable d’hypersomnie avec somnolence diurne, et ne sera pas abordé ici. • Le syndrome des jambes sans repos (SJSR) est un syndrome de diagnostic clinique, fréquent chez l’enfant et l’adulte, mais souvent méconnu. Il est caractérisé par des enfants qui consultent pour difficultés d’endormissement ou éveils répétés au milieu de la nuit, avec une sensation désagréable dans les membres inférieurs que l’enfant peut décrire ou non favorisées par les repos et l’immobilité. Cette sensation est associée au besoin impérieux de bouger qui généralement permet l’amélioration des symptômes. Le con texte familial (transmission autosomique dominante) peut permettre d’évoquer ce diagnostic qui concernerait 1 à 2 % des enfants. Le praticien se doit de rechercher une carence martiale et de la corriger si elle est présente : une ferritinémie basse < 50 à 75 mg/l justifie une supplémentation et peut permettre d’améliorer la symptomatologie. En cas d’échec, l’enfant sera adressé à une consultation spécialisée (Carter et Wrede, 2017). • Les troubles du rythme circadien se rencontrent notamment à l’adolescence, avec un syndrome de retard de phase, bien plus fréquent que le syndrome d’avance de phase. Le syndrome de retard de phase se caractérise par un endormissement tardif, décalé de 3 à 6 heures par rapport à l’heure d’endormissement habituel, avec des difficultés de réveil et une somnolence diurne. Le retentissement social peut être important et une prise en charge spécialisée généralement indiquée avec des prises en charge basées sur la chronothérapie et aidée par des thérapeutiques médicamenteuses. • Les troubles du neuro-développement regroupent différents syndromes ou troubles dans la dernière version du manuel diagnostic et statistique des troubles mentaux (DSM-V) qui concernent l’enfant et s’accompagnent fréquemment de troubles du sommeil. Dans les troubles du développement intellectuel, l’insomnie fait partie parfois d’une des spécificités du phénotype clinique et peut constituer une aide à l’orientation diagnostique. L’exemple caractéristique est le syndrome de Smith-Magenis, syndrome micro-délétionnel du chromosome 17 (17p11.2) responsable d’un handicap intellectuel, associé à des troubles du sommeil constants et sévères en lien avec une inversion du rythme nycthéméral de la sécrétion de mélatonine. Dans le tableau 2, sont présentés les principaux syndromes génétiques à l’origine d’un trouble du développement intellectuel rencontrés en pédiatrie et associés à des troubles du sommeil de type insomnie. Ainsi face à tout trouble du sommeil chez l’enfant, le praticien devra s’interroger sur la qualité et la dynamique de développement neurologique de l’enfant et l’examiner à la recherche d’arguments cliniques en faveur d’une étiologie génétique comme une dysmorphie faciale. • Les troubles du sommeil sont dix fois plus fréquents chez les enfants présentant un trouble du spectre autistique (TSA) que dans la population générale et concerneraient plus d’un enfant sur deux diagnostiqué avec un TSA. Les études du sommeil chez l’enfant autiste montrent une réduction du temps de sommeil, notamment du temps de sommeil paradoxal, ainsi qu’un tableau particulier « d’insomnie heureuse ou contented sleeplessness ». Les facteurs contribuant aux troubles du sommeil dans l’autisme sont multiples, avec une interaction entre des facteurs psychologiques, biologiques et socio-environnementaux. Cortesi et coll. (2012) montrent l’efficacité d’un traitement combinant une prise en charge psycho-comportementale et un traitement par mélatonine par rapport à des prises en charge psycho-comportementales ou médicamenteuses isolées en comparant quatre groupes de 40 enfants autistes (le 4e groupe recevant un placebo). • Le trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH) s’accompagne dans près d’un cas sur deux de troubles du sommeil. Les plaintes dans ce syndrome sont variables : avec une retard à l’endormissement du fait d’une absence de sensation de fatigue et de l’hyperactivité de l’enfant, des éveils nocturnes fréquents du fait d’une activité motrice augmentée la nuit ou de l’association à un SJSR cité auparavant et retrouvé dans 44 % des TDAH, et au final une somnolence diurne conséquence directe de la réduction du temps de sommeil. Ainsi, une analyse fine de la situation par le praticien permettra de mieux comprendre les intrications complexes entre TDAH et troubles du sommeil, et de proposer des prises en charge adaptées (Hvolby, 2015). Il est enfin utile de rappeler au praticien que les relations entre sommeil et épilepsie sont réciproques. Le sommeil favorise l’augmentation des paroxysmes épileptiques intercritiques. Sa réduction peut favoriser la survenue de crises cliniques chez un enfant épileptique. Un trouble du sommeil indépendant, comme par exemple un syndrome des apnées obstructives du sommeil, peut décompenser une épilepsie et, au contraire, son traitement améliorer cette dernière. Inversement, certains syndromes épileptiques ont une expression prédominante pendant le sommeil avec soit des crises survenant préférentiellement la nuit (épilepsie focale du lobe frontal), soit une activation nocturne conduisant à une sémiologie cognitive qui fait partie du syndrome épileptique (épilepsie avec pointes ondes continues du sommeil). Les traitements antiépileptiques peuvent être à l’origine de trouble du sommeil mais un meilleur contrôle de l’épilepsie peut améliorer le sommeil d’un enfant épileptique. Dans tous les cas, le praticien devra être vigilant et ne pas étiqueter trop vite « troubles du sommeil » des manifestations épileptiques, qui conduirait à un retard de prise en charge dommageable pour l’enfant. Maski et Owens (2016) déjà cités, rappellent qu’environ 30 % des patients épileptiques avec crises nocturnes avaient été initialement diagnostiqués troubles du sommeil (parasomnies). Pour finir, il faut savoir qu’il reste peu de place aux traitements médicamenteux dans les troubles du sommeil de l’enfant. Seuls deux médicaments ont l’AMM dans cette indication. Il s’agit de l’aliménazine (Théralène®) ou l’hydroxyzine (Atarax®) en courtes cures de 15 jours maximum, en complément des autres mesures. La mélatonine sous forme retard a l’AMM dans des indications spécifiques : TSA, syndromes de Smith-Magenis, Rett ou Angelman et la sclérose tubéreuse de Bourneville.

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