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Néonatologie

Publié le 05 mai 2017Lecture 11 min

Le droit de l’enfant au dépistage néonatal

Michel ROUSSEY et coll.*, Professeur honoraire de pédiatrie, université de Rennes I ; président de l’Association française pour le dépistage et la prévention des handicaps de l’enfant (AFDPHE), Paris

Le dépistage néonatal (DNN) à partir de gouttes de sang séché sur un papier buvard spécial n’est pas obligatoire, mais il s’impose aux professionnels de la naissance. Les parents ont donc la liberté de le refuser. Où se situe alors le droit de l’enfant à la santé si par malheur il est atteint d’une des maladies pouvant être dépistées ?

Un peu d’histoire C’est Robert Guthrie (1916-1995) qui a mis au point en 1963 une méthode de dosage de la phénylalanine (PHE) à partir d’un éluat de sang séché recueilli à 3 jours de vie (J3) sur un papier buvard. Le test dit de Guthrie permet de repérer le nouveau-né (NN) qui a un taux trop élevé de PHE dans le sang, toxique pour le développement cérébral de l’enfant. Il s’agit d’une erreur innée du métabolisme (EIM) due à un déficit de l’enzyme hépatique, la phénylalanine hydroxylase, qui permet de transformer la PHE, acide aminé (AA) d’origine alimentaire, en excès en un autre AA, la tyrosine. En son absence, la PHE s’accumule et est retrouvée en excès dans le sang des malades, avec des produits de dégradation dans les urines, les phénylcétones, d’où le nom de la maladie, phénylcétonurie (PCU).  Grâce à l’établissement précoce d’un régime spécifique pauvre en PHE à un stade présymptomatique, le développement neurologique de l’enfant reste normal. `Cette hypothèse s’est révélée être un pari gagné puisqu’il s’agissait du premier dosage biologique qui permettait de repérer chez le NN une maladie dans une phase présymptomatique. Pour la première fois, une arriération mentale devenait évitable. Aujourd’hui, le retard mental des PCU a disparu dans les pays qui ont mis en place un programme de DNN systématique. En France, ce test a été rapidement mis en place dans quelques régions pilotes, puis s’est généralisé en 1972 à tout le pays. Ce programme de prévention a été confié par le ministère de la Santé à une association de statut privé (1901), l’Association française pour le dépistage et la prévention des handicaps de l’enfant (AFDPHE). Celle-ci a, par délégation, la charge de mettre en place et de gérer cette action de santé publique sur tout le territoire national. Le financement, assuré par la Cnam, couvre les charges de réalisation des tests de dépistage et de leurs gestions administrative et médicale. La prise en charge (PEC) et le traitement des malades repérés relèvent du régime général de l’Assurance maladie. Dès le départ, les objectifs étaient ambitieux et le restent toujours pour toute nouvelle extension du DNN : couverture de 100 % des NN, fiabilité des dosages, prise en charge systématique de tous les malades repérés, procédures d’évaluation de toutes les étapes du programme, commissions techniques spécialisées, contrôle national de qualité et recueil national des données statistiques. Les principes d’un DNN Les programmes de DNN sont variables selon les pays, les régions, provinces ou états. Le nombre de maladies possiblement détectables à un stade préclinique en période néonatale a considérablement augmenté ces dernières années, mais l’AFDPHE a constamment visé trois objectifs en France : – l’égalité : en offrant un accès identique de tous les NN aux tests de dépistage et à la prise en charge thérapeutique tant en métropole qu’en Outre-Mer ; – l’efficacité : un dépistage n’est pas un diagnostic mais il faut obtenir une sensibilité et une spécificité maximales afin de limiter les possibilités de faux négatifs (FN), enfants malades non dépistés, et de faux positifs (FP), enfants dépistés mais non malades ; – et surtout l’utilité : avec en priorité, le bénéfice direct pour l’individu malade. Autrement dit, le programme ne vise que des affections dont le diagnostic précoce  engendre une amélioration directe de l’état de santé et de la qualité de vie du malade. En cela, le programme français est tout à fait en adéquation avec les 10 critères OMS de Wilson et Jungner de 1968 (encadré 1). Le DNN va donc concerner une pathologie : – non prévisible sur la base d’examens spécifiques préalables à la naissance ; – non exceptionnelle (au moins 1/10 000 à 1/20 000 naissances) ; – dont le diagnostic clinique est impossible ou difficile dans les premiers mois de vie ; – dont la gravité, en l’absence de dépistage et de traitement préventif, va conduire à des séquelles irréversibles ; – pour laquelle existe une thérapeutique efficace lorsqu’elle est précocement appliquée ; – et pour laquelle on dispose d’un outil de dépistage qui doit permettre : un prélèvement simple et non agressif chez l’enfant, une expédition facile des échantillons, une technique de dépistage simple, facilement reproductible sur de grandes séries, une rapidité d’obtention du résultat, une méthode peu coûteuse, permettant une rentabilité en termes d’économie de santé. Les maladies dépistées par le test de Guthrie en France Ce sont actuellement cinq maladies qui peuvent être dépistées grâce au test de Guthrie : – la PCU depuis 1972 ; – l’hypothyroïdie congénitale (HC) depuis 1978 ; – les syndromes drépanocytaires majeurs (SDM) depuis 1989 en Outre-Mer et 1995 en métropole, de façon ciblée lorsque les deux parents sont originaires de régions génétiquement à risque pour cette maladie ; – l’hyperplasie congénitale des surrénales (HCS) depuis 1995 ; – et la mucoviscidose depuis 2002. Excepté l’HC, les maladies concernées sont génétiques, autosomiques récessives, c’est-à-dire que les parents sont hétérozygotes sains, ne le sachant généralement pas mais pouvant transmettre le gène déficient à leur enfant qui, une fois sur quatre pourra être atteint de la maladie, si l’enfant reçoit ce gène déficient de ses deux parents. Les textes régissant le DNN en France Les contraintes et l’efficacité du DNN doivent être acceptées par la population à laquelle il s’adresse. L’éducation du public doit permettre une adhésion individuelle. Le bénéfice pour l’enfant et ses parents est tel que rapidement le test de Guthrie est entré dans les mœurs et a été rapidement intégré au forfait maternité. Or le DNN n’est apparu dans les textes officiels qu’à partir de 2008. Selon les dispositions de l’article R.1131-21 du Code de la santé publique (CSP), « le DNN s’entend de celui des maladies à expression néonatale, à des fins de prévention secondaire ». Ces dispositions, introduites par le décret n°2008-321 du 4 avril 2008 relatif à l’examen des caractéristiques génétiques d’une personne ou à son identification par empreintes génétiques à des fins médicales, autorisent de procéder au dépistage de maladies génétiques auprès de tous les NN ou, dans certains cas, auprès de ceux qui présentent un risque particulier de développer l’une de ces maladies (encadré 2). Droit des parents, droit de l’enfant L’exercice de l’autorité parentale est un droit reconnu au parent par la loi et encadré par l’article 371-1 du Code civil. Ce droit doit s’exercer, selon le texte, dans l’intérêt exclusif de l’enfant. L’absence de prise en compte de cet intérêt par le parent lors d’un éventuel refus de sa part est alors à rappeler. Les parents doivent donc recevoir une information claire et compréhensible au sujet des maladies dépistées et le professionnel doit être en mesure de répondre à leurs questions s’il perçoit une hésitation. Tout refus serait alors préjudiciable à l’enfant et dramatique si, par malheur, il est atteint d’une des maladies dépistées. À la liberté des parents, il faut alors opposer le droit de l’enfant à la protection de sa santé. En effet, le refus de la réalisation du test de Guthrie peut constituer une perte de chance pour l’enfant, s’il est atteint et n’est pas dépisté. En cas de refus, les deux titulaires de l’autorité parentale doivent signer un document disant qu’ils ont bien reçu les informations nécessaires. Ce document est conservé dans le dossier de la maternité et un double est transmis à l’association régionale en charge du DNN. Le nombre de refus est heureusement marginal puisqu’en 2015, l’AFDPHE n’en a recensé que 267 sur 809 078 NN devant être testés, soit 0,3 ‰ (encadré 3). À part l’hypothyroïdie congénitale (HC) et les syndromes drépanocytaires majeurs (SDM), les maladies dépistées sont toutes rares. Certes, la probabilité que l’enfant soit atteint d’une des 5 maladies dépistées est faible, 1 sur 800 NN en 2015, mais a-t-on le droit d’avancer que son enfant a peu de chances d’avoir ces maladies ? Lorsqu’il manifestera des signes cliniques, le diagnostic se fera bien sûr, mais trop tard. Les parents n’ont pas tous les droits sur leur enfant. Lorsqu’on estime que ce dernier est en danger dans son milieu familial, il est du devoir du médecin de mettre en œuvre tous les moyens adéquats pour le protéger en faisant preuve de prudence et de circonspection. Si des sévices ou des privations sont suspectées, il alerte les autorités judiciaires ou administratives, sauf circonstances particulières (article R.4127-44 du CSP). L’article 43 du Code de déontologie médicale et l’article R.4127-43 du CSP précisent que le médecin doit être le défenseur de l’enfant lorsqu’il estime que l’intérêt et la santé de celui-ci est mal compris ou mal servi par l’entourage. Dans le cadre du DNN, l’enfant de 3 jours n’est pas malade ; il peut l’être potentiellement, mais 1 fois sur 800. De même dans le Code pénal, l’article 223-6 dit que « quiconque pouvant empêcher par son action immédiate sans risque pour lui ou pour les tiers, soit un crime, soit un délit contre l’intégrité corporelle de la personne, s’abstient volontairement de le faire est puni de 5 ans d’emprisonnement et de 76 225 € d’amende. » Cela ne peut s’appliquer au DNN puisqu’il n’y a pas de délit de la part des parents, le DNN n’étant pas obligatoire. On est donc bien dans une situation différente. Les parents qui refusent le DNN le font en pensant protéger leur enfant contre des investigations invasives (prise de gouttes de sang) de la part de la médecine. L’enfant n’est pas réellement en danger au moment du test. Il s’agit d’une possibilité future qui, heureusement, ne se confirmera qu’exceptionnellement. Le refus de vaccination procède d’un raisonnement similaire. Néanmoins dans le cadre du DNN, la situation nous semble un peu différente car les risques hypothétiques éventuellement liés à l’administration d’une substance exogène n’existent pas. C’est la surmédicalisation qui est refusée. Au moment où les parents sont heureux d’avoir un enfant, ils ne peuvent l’imaginer potentiellement malade et le lien mère enfant pourrait en être possiblement affecté. Il faut pourtant considérer le test de Guthrie comme un geste essentiel, tout comme on vérifie l’absence de pathologie malformative en période néonatale. C’est le but de l’examen pédiatrique dès la salle de naissance, puis avant la sortie de la maternité. D’ailleurs, les parents oublient qu’un test de Guthrie a été fait, puisque le plus souvent le résultat est normal. Seuls les tests suspects doivent être contrôlés. Afin de limiter au maximum l’impact psychologique négatif de la positivité d’un test de dépistage et de limiter le temps d’attente, les procédures d’appel des parents pour effectuer les examens de diagnostic sont bien précisées. Les refus parentaux Si les refus parentaux au test de Guthrie sont exceptionnels, ils ont néanmoins tendance à augmenter puisque l’AFDPHE n’en a recensé que 31 en 2006, avec une augmentation régulière depuis. Les parents peuvent, par contre, refuser le test génétique pour la recherche des principales mutations du gène CFTR de la mucoviscidose lorsque le marqueur biochimique, la trypsine immunoréactive (TIR), dépasse la valeur seuil. S’ils ne signent pas de consentement explicite au verso du buvard, le DNN de la mucoviscidose peut néanmoins se faire en contrôlant la TIR à 3 semaines de vie si la valeur de J3 était très élevée. Cela entraîne plus de FP puisque la recherche des mutations CFTR permet d’améliorer sensibilité et spécificité du test, mais il est préférable d’avoir cet inconvénient que de passer à côté d’un NN atteint de mucoviscidose. D’autres maladies peuvent être dépistées à partir de gouttes de sang et de nombreux pays le font, mais pour chacune d’entre elles, il importe de toujours vérifier les 4 principes éthiques du dépistage : le principe de bienfaisance, celui de non-malfaisance, celui d’autonomie et celui de justice. La Haute Autorité de santé (HAS) est saisie pour chaque maladie et donne des recommandations d’introduction ou pas d’un DNN. C’est le cas pour une autre EIM, le déficit en MCAD, qui devrait être introduite par le ministère puisque les recommandations y sont favorables. Ce sera aussi vraisemblablement le cas du DNN des déficits immunitaires combinés sévères et d’autres EIM, mais, à chaque fois, il faut bien sûr que l’enfant et sa famille en tirent un bénéfice direct. Ces principes s’appliquent quel que soit le type de DNN généralisé et organisé. C’est ainsi qu’un dépistage sensoriel systématique, par exemple, le DNN de la surdité permanente bilatérale, a été autorisé en 2012 (arrêté du 4 mai 2012) après avis favorable de la HAS et l’obtention d’un financement spécifique en 2013. Là aussi, ce dépistage n’est pas obligatoire pour les parents mais le proposer et le défendre s’imposent aux professionnels. Le DNN n’étant pas obligatoire pour les parents, une action judiciaire contre eux a peu de chances d’aboutir. En théorie, un enfant malade, alors qu’il aurait pu être dépisté, et s’il en est intellectuellement capable, pourrait entamer une action en responsabilité civile contre son parent négligeant (articles 1240 ancien 1382 et 1241 ancien 1383 du Code civil). Mais il serait difficile de déterminer la faute du parent dans la mesure où son refus, en l’absence d’obligation de DNN, est un droit découlant de l’autorité parentale et que le parent est toujours présumé agir dans l’intérêt de son enfant. L’exercice d’un droit peut constituer une faute dès lors qu’il y a abus de ce droit, mais il faudrait déterminer une intention de nuire par l’usage du dit-droit. Or l’intention de nuire du parent à l’égard de son enfant sera difficile, voire impossible à caractériser. Pour tout dépistage, les professionnels doivent donner les informations les plus facilement compréhensibles afin d’éviter au maximum un refus des parents qui pourrait être préjudiciable à leur enfant.

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