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Profession, Société

Publié le 16 juin 2017Lecture 6 min

Le droit de l'enfant de ne pas recevoir de punitions corporelles

Edwige ANTIER, Paris

En France, la fessée tient de la tradition familiale et les débats autour de son interdiction ont trop souvent prêté à sourire. Pédiatre et femme politique, Edwige Antier n’a jamais pris à la légère la question des châtiments corporels, elle s’est engagée contre les violences éducatives et pour le respect d’un principe simple : l’interdiction légale de lever la main sur un enfant.

Les effets de la violence éducative sur le développement du jeune enfant Si la plupart des pédiatres français sont d’accord pour ne pas recommander la main levée sur les enfants, les travaux des pédiatres, psychiatres, chercheurs en neurosciences, canadiens et américains, viennent aujourd’hui leur donner raison, preuves à l’appui : – d’abord, les études longitudinales des psychologues qui ont colligé les effets des punitions corporelles : baisse d’estime de soi, baisse des compétences sociales et cognitives, alternance entre soumission et agressivité. Les effets ne dépendent pas du style de violence (fessée, gifle ou tape) mais sont proportionnels à la fréquence et la durée ; – le cri d’alarme des psychiatres qui, par des études rétrospectives, ont pointé un plus grand risque de troubles mentaux chez les personnes ayant été élevées avec violence ; – aujourd’hui, ce sont les neuro sciences qui montrent les effets de la « violence éducative ordinaire » sur le développement des structures cérébrales indispensables à la mémoire, à l’attention, aux capacités d’apprentissage et à l’empathie. Ces travaux nous permettent une connaissance approfondie de l’effet de la violence éducative sur le développement de l’être humain. L’interdiction légale des châtiments corporels est intimée par le Conseil de l’Europe. Vingt-neuf des 47 états membres ont déjà légiféré en ce sens, mais pas la France… Aussi, pédiatre française, députée à l’Assemblée nationale, je déposais, le 22 janvier 2010, la proposition de loi pour « L’abolition des châtiments corporels dans l’éducation ». La fessée, « madeleine de Proust » des Français ? Les médias ont beaucoup débattu sur le droit des parents à donner une « bonne fessée ». La fessée est aux Français ce qu’est la « ravicelle », une sorte de petite tradition de l’enfance « que l’on aurait bien méritée », grâce à laquelle « on est devenu un adulte respectueux des autres « donnant de l’autorité aux parents », et qui « ne nous a pas tués ». Le sentiment de culpabilité pour avoir levé la main, le besoin de cautionner l’éducation reçue, sont difficiles à vaincre, même s’il est simple de dire que tant que l’on n’était pas informé, c’était excusable. Viennent alors toutes sortes de négociations autour de ce qu’est un « châtiment corporel », de la petite fessée « sur la couche » à la « claque sur la main », la « gifle derrière la tête »… et les coups de ceinture (« mais rares, Docteur ! ») – bien moins souvent avoués que réellement pratiqués. Le sujet interpelle chacun, les tablées familiales revisitent les souvenirs, très différents entre celui qui a donné et celui qui a reçu, mais « bien sûr, pas le martinet, c’est fini ! » (même s’il s’en vend toujours, par les mêmes qui commandent Pampers® et pots de propreté sur Amazon !). Quelle limite entre la maltraitance et la violence éducative qu’on appelle « ordinaire » ? Chacun convient qu’une « fessée » ou une « petite tape » ne sont pas de la maltraitance. Mais le haut de l’iceberg ne doit pas faire nier la partie immergée, pour deux raisons : – abolir totalement toute violence physique envers l’enfant est le seul signal enlevant tout prétexte à la main levée sur eux, quels qu’en soient l’intention, le site, la force… On estime qu’il meurt deux enfants par jour, en France, sous les coups de leurs parents, qui arguent presque toujours, d’une « punition qui aurait mal tournée »… Quarante-cinq pour cent des Français disentsoupçonner des cas de maltraitance grave dans leur entourage. Les trois-quarts des cas de maltraitance prennent pour prétexte des « punitions éducatives » ; – les effets délétères sur le développement de l’enfant des « violences ordinaires », quel qu’en soit le degré, est aujourd’hui de plus en plus scientifiquement établi. « Pas de châtiments corporels, d’accord, mais pas de loi pour l’interdire » ? Telle est la posture de ceux qui résistent encore à légiférer sur la violence éducative, avec les arguments suivants : – n’est-ce pas une immixtion insupportable dans la vie privée des familles ? Le même argument avait été objecté lorsque la loi contre la violence conjugale fut promulguée. On devait avoir le droit de battre sa femme à huis clôt. Aujourd’hui, on devrait continuer d’avoir, en France, le droit de battre son enfant derrière la porte fermée. « C’est la vie privée ». C’est oublier que l’enfant est un petit citoyen qui va grandir et que les blessures physiques et psychiques seront ensuite à la charge de la société. L’instruction est obligatoire, la protection des mineurs doit l’être, fusse de leurs parents ; – les parents vont perdre leur autorité, mais les châtiments corporels ne donnent pas d’autorité, ils font perdre le respect. La violence subie dans l’enfance, quel que soit le milieu social, est le terreau de celle à l’égard des autres ; – la loi va inciter les enfants à la délation, on pourrait retrouver un parent en prison pour de fausses accusations d’enfant ! En brandissant ces peurs, les objecteurs sont certains de mettre les parents de leur côté. Or, une bonne lecture de la loi, qui sera inscrite dans le Code civil, montre qu’elle est adossée à une aide à la parentalité : dans les pays qui l’ont adoptée, aucun parent ne s’est retrouvé en prison pour une violence éducative « ordinaire », mais ils bénéficient alors d’une aide à la parentalité. Commencer par des campagnes d’information vers les parents ? Informer les parents, c’est ce qu’ont entrepris des associations de médecins (saluons ici le travail de notre confrère, Gilles Lazimi), l’Observatoire de la violence éducative ordinaire, et la ministre de la Famille, qui a décidé d’inscrire dans les carnets de santé l’importance de ne pas lever la main sur l’enfant. Mais l’expérience des pays européens montre que les campagnes ne suffisent pas et que seule l’inscription dans la loi modifie les pratiques. L’exemple de la Suède… et des autres Elle fut le premier pays européen à légiférer, il y a 30 ans. Dans le même temps, était inscrit sur les packs des petits déjeuners que « Frapper les enfants était interdit ». Tous les pays scandinaves ont suivi. Aujourd’hui, ils sont en tête des résultats cognitifs dans les enquêtes de l’OCDE et leurs prisons sont vides (la Suède propose de nous louer des places !). La non-violence éducative y contribue, c’est un facteur de développement et d’empathie, à l’échelle de toute une société. Nous ne sommes pas des Suédois, nous sommes des Latins ! De grands pays latins ont interdit par la loi les châtiments corporels comme l’Espagne, le Portugal ; des pays où l’autorité est une valeur partagée comme l’Allemagne ou l’Autriche ; des pays catholiques comme la Pologne, etc. Alors, où en sommes-nous, en France ? Le parlement et l’exécutif avancent et reculent. Tant d’élus, tant d’électeurs protestent d’avoir euxmêmes reçus et pratiqués « la fessée » ! La ministre de la Famille a encore déposé un amendement dans le projet de loi Égalité et citoyenneté liant l’autorité parentale à « l’exclusion de tout traitement cruel, humiliant ou dégradant, y compris tout recours aux violences corporelles ». Il a été adopté dans la nuit du 1er au 2 juillet 2016 par l’Assemblée nationale… et... rejeté par le Sénat ! On a pu observer, à cette occasion, combien la presse avait évolué et compris l’importance de légiférer pour protéger les enfants. En conclusion La France ne pourra pas rester longtemps encore en retrait des autres pays européens. Il faut conclure comme Jacques Attali : « La résistance à cette loi est très profonde, car un tel texte dirait très clairement que les parents ne sont ni les maîtres ni les propriétaires des enfants. Il montrerait qu’il faut établir non un droit des enfants, mais un droit à l’enfance, c’est-à-dire à la non-violence. »

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