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Maltraitance

Publié le 31 oct 2023Lecture 12 min

L’enfant victime des sectes

Georges PICHEROT*, Cécile GUIHÉNEUF*, Céline GARNIER-JARDIN**, *Pédiatres, Nantes ; **Membre du Groupe de pédiatrie générale sociale et environnementale (GPGSE)

Le premier constat est la méconnaissance de la situation. Des situations récentes d’enfants victimes de dérives sectaires rencontrées par des pédiatres nous ont amenés à organiser une table ronde sur ce sujet lors de la réunion de la SFP à Marseille en juin dernier. De l’avis de nos intervenants experts, il s’agissait d’une première demande venant du monde pédiatrique français et des professionnels de la santé de l’enfant.

Pourtant nous verrons plus loin que leur fréquence est importante et que les conséquences graves induites par les comportements sectaires mettent également en cause le comportement familial, comme dans la plupart des maltraitances. Des événements médiatiques nous ont interpellés. Plusieurs sources doivent être citées, qui seront des apports complémentaires pour les lecteurs : le film « Les éblouis » de Sarah Suco diffusé le 28 mars dernier sur France 2 et suivi d’un débat très informatif sur le piège des sectes ; le livre de Tara Westover, Une éducation, sur l’emprise des sectes et leurs conséquences sur le développement et l’éducation des enfants ; enfin les publications de la Miviludes (Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires) et de l’UNAFDI (associations de défense des familles et de l’individu victimes de sectes) que nous citerons en référence.   Définitions, épidémiologie   La Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) définit les sectes comme des « groupements se présentant ou non comme une religion, dont les pratiques constatées sont susceptibles de tomber sous le coup de la législation protectrice des droits des personnes ou du fonctionnement de l’État de droit ». Il n’y a pas de définition stricte des sectes dans le droit français selon la Miviludes(1). Ce que l’on définit ce sont les dérives sectaires : « dévoiement de la liberté de penser, d’opinion ou de religion qui porte atteinte à l’ordre public, aux lois ou aux règlements, aux droits fondamentaux, à la sécurité et à l’intégrité des personnes »(1). On saisit d’emblée la difficulté de la définition qui ne peut se baser que sur les conséquences de l’emprise des sectes sur les personnes, et en particulier sur les plus jeunes, puisque dans ces systèmes sectaires, le respect de la liberté de conscience et de l’intimité des familles passe avant la protection des enfants ! Il est difficile d’établir la liste des sectes tant elles sont nombreuses et toujours renouvelées. On peut citer celles qui ont été l’objet de saisines dans le rapport gouvernemental annuel ou qui ont été au-devant de la scène médiatique plus ou moins récemment : l’Église de Scientologie, les Témoins de Jéhovah, la Fraternité Pie X, les Sectes New Age, La Famille de Nazareth, les Crudivoristes, l’Anthroposophilosophie et les écoles de Steiner-Waldorf, Kryeon et les enfants Indigo, La Science Chrétienne, les Frères de Plymouth, les Eco-villages et tous les mouvements religieux radicalisés, etc. On estime que 60 000 à 80 000 enfants vivaient dans une communauté sectaire en 2022 sans avoir de chiffres précis. Le rapport 2021 de la Miviludes a constaté une augmentation de 33 % des saisines par rapport à l’année précédente (4 020 contre 3 008 en 2020). Trois-cent quatrevingt-seize d’entre elles impliquaient des mineurs. Ces chiffres sont considérés par beaucoup d’experts comme très au-dessous de la réalité. L’implication des professionnels de santé est faible, au point que l’UNAFDI parle de victimes oubliées des professionnels de santé, du secteur social et des associations(2). L’enfant victime des sectes ne figure pas comme une entité dans les formes de maltraitance.   Quelques situations cliniques   • Un jeune couple consulte le pédiatre pour des pleurs persistants et intolérables d’H. âgé de 1 mois. Rapidement la mère va évoquer son désarroi face à ce premier enfant. Elle a vécu jusqu’à l’âge adulte avec ses parents dans une secte où ceux-ci ne l’ont jamais prise en charge. Elle a échappé de cette secte récemment et a coupé tout lien avec sa famille. • L., un garçon de 2 ans, est hospitalisé pour une fièvre importante associée à un œdème du visage et des myalgies. Un tableau clinique similaire mais plus grave a abouti à une hospitalisation du père. Le diagnostic de trichinellose est porté. L’enquête va montrer que la famille adhère à une secte crudivore. Tous les aliments sont consommés sans cuisson, en particulier du sanglier à l’origine de la trichinellose. Au total, 22 personnes de la secte seront atteintes, avec des formes de gravités diverses (observation communiquée par le Dr Jeziorski du CHU de Montpellier). • P. âgé de 15 ans est amené en consultation pour des troubles de l’attention amenant à des difficultés scolaires. Il est scolarisé en internat à distance de sa famille depuis plusieurs années dans une école hors contrat de la Fraternité Pie X. Il est « la honte de sa famille », régulièrement sanctionné, privé de sortie et de sports. Selon ses éducateurs et sa famille : « son âme est damnée ». L’évocation par le pédiatre d’une inadaptation éducative grave entraînera l’arrêt rapide des soins après la première consultation. Ces trois observations récentes ne résument pas la diversité des situations et la difficulté de leur dépistage.   L’enfant   L’enfant est particulièrement vulnérable aux situations de dérives sectaires. Il est la victime des convictions des adultes qui l’entourent, parents ou autres. Le rapport de la Miviludes décrit trois types de situations(1). Les parents peuvent être adeptes de la secte et l’enfant va penser, comme dans beaucoup de situations de maltraitance, que le mode de vie qui lui est proposé est normal. Il peut être aussi victime de pratiques anormales perpétrées par un gourou ou d’un système qui prétend améliorer sa santé, son éducation, et convainc les parents d’adhérer à l’idéologie sectaire. L’adolescent peut être lui-même séduit par un « discours alternatif et absolu » avec des idéaux de « progrès et de solidarité » ou d’engagement dans un soutien radicalisé. L’enfant peut subir tous les types de maltraitances : violences sexuelles, violences physiques, maltraitances psychologiques ou négligences souvent associées entre elles. On parle de violences polymorphes(2) qui surviennent dans des conditions particulières aux sectes. Pour les violences sexuelles, les enfants représentent « un cheptel de robots pour assouvir les fantasmes délirants du gourou »(3). Les actes sexuels ont « une justification ésotérique ». La sexualité peut être représentée comme « la plus haute expression de l’amour ». Les rapports et les témoignages sur les sectes font part « de viols, d’incestes, de sexualités imposées entre mineurs, d’exhibition d’enfants nus, etc. ». Les enfants sont sous l’emprise de leurs parents et n’ont pas accès à un discernement critique. Les maltraitances physiques sont fréquentes. Elles font partie d’une éducation fortement coercitive et violente basée sur les sanctions. Le fonctionnement sectaire vise à supprimer toute résistance aux règles et « casser les égos ». Les enfants peuvent être victimes de coups et de séquestrations. Ils sont parfois soumis à des conditions physiques dangereuses : exposition au froid, régimes très carencés, inadaptés, etc. Ils finissent par penser que « plus ils sont châtiés plus ils sont aimés »(3). Le risque vital existe et reste mal connu. Il peut être la conséquence des carences et des privations. Il peut aussi être associé aux suicides collectifs des adultes. En 1978 aux États-Unis, parmi les 914 adeptes décédés, victimes de la secte Le Temple du Peuple, 304 étaient des enfants. Les violences psychologiques sont constantes, inhérentes au fonctionnement des sectes. « Les maltraitances physiques, aussi graves soient-elles, sont facilement repérables par les professionnels de santé et la justice, mais elles occultent souvent les maltraitances psychologiques difficiles à détecter »(3). La cassure du modèle familial est souvent la base du fonctionnement avec toutes ses conséquences, en particulier de carence ou de déviance affective. L’enfant peut être séparé de ses parents au nom d’une idéologie de contrôle absolu par le ou les gourous. L’endoctrinement des enfants est associé à l’emprise des parents. La triangulation parentale disparaît, elle est remplacée par « une relation fusionnelle dévorante dont l’enfant ne peut s’échapper »(3).   La famille   Son cheminement vers une emprise totale aboutit à une parentalité « confisquée, soumise, culpabilisée et finalement abandonnée »(2). La famille et l’enfant sont retenus dans une « cage virtuelle » contrôlée par le gourou(3). Les parents adeptes sous emprise sont « tenus comme premiers responsables du comportement imparfait de leur enfant ». Ils s’attribuent les « échecs de l’endoctrinement »(2). La famille vit dans un monde clos où « l’intrusion de la réalité, par l’ouverture sur le monde extérieur, apporterait le doute, le discernement, la réflexion, le choix »(4). Le mécanisme insidieux de l’emprise annule toutes les possibilités de réaction des parents quant aux maltraitances vécues par leur enfant et le non-respect de ses besoins fondamentaux. Le trajet de la famille vers la dérive sectaire est incompréhensible, en particulier son aveuglement au regard des besoins de l’enfant. La Miviludes décrit quatre stades : le repérage (par la secte) d’une vulnérabilité (maladie, ruptures familiales ou professionnelles, etc.), la séduction (sous des masques respectables humanistes, thérapeutiques, spirituels), la déconstruction et la reconstruction sectaire (avec une emprise sur les choix importants en terme déscolarisation, modalités éducatives, fonctionnement familial et prise en charge médicale)(1). Les parents affirment que leur adhésion est complètement volontaire, qu’il n’y a aucune soumission. Ceci peut troubler les professionnels de santé. En réalité, « il s’agit bien avant tout de circonscrire l’analyse de la situation à des faits préoccupants et susceptibles de révéler un danger vis-à-vis des mineurs »(1). On se retrouve dans la situation que l’on connait dans toutes les formes de maltraitances intrafamiliales sectaires ou non : la famille ne peut pas participer à la protection de l’enfant. « Nos parents sont prisonniers des chaînes de la maltraitance, de la manipulation et du contrôle. Ils croient le changement dangereux et banniront quiconque le réclame »(4).   Les sectes   La diversité des sectes ne permet pas une analyse unique de leur fonctionnement. Elles ont en commun un certain nombre de concepts bien identifiés par les experts : une pensée unique magique, une vérité absolue, des gourous ou une communauté tout puissants, l’exclusion de toute pensée personnelle, des pouvoirs divins surnaturels invérifiables mais réputés incontestables, etc. La communauté ou les gourous accompagnent leurs préceptes de menaces particulièrement traumatisantes pour l’enfant : « punitions divines, fin du monde, malheurs associés à des forces occultes »(2). Les messages médicaux sont fréquemment associés à l’idéologie sectaire et représentent parfois une porte d’entrée pour le futur adhérent : thérapies alternatives, régimes inadaptés, lutte contre les vaccinations à l’aide de messages complotistes(4), etc.   Les risques   L’enfant des sectes est un enfant en danger. Les risques sont assimilables aux risques des maltraitances, avec des particularités sur le plan psychologique et développemental. Les risques physiques peuvent être les conséquences des violences subies mais aussi des régimes carencés ou des thérapeutiques inadaptées et/ou toxiques. Le refus imposé des thérapeutiques expose l’enfant à des risques vitaux (refus de transfusion, carences et privations graves, refus de thérapeutiques et de vaccinations). Sur le plan psychologique et développemental, vivre dans une secte fait partie des « événements traumatiques de l’enfance » (Adverse Chilhood Experiences) exposant à des risques à court et long terme. Des particularités sont notées : absence de possibilité d’expression émotionnelle, phobies diverses entraînant des « peurs paniques du dehors », phobies alimentaires avec troubles du comportement alimentaires ou rites de purification avec troubles obsessionnels compulsifs. L’impossibilité d’adaptation sociale est presque constante. Le milieu sectaire « fabrique de la pathologie psychiatrique, induit des troubles psychologiques, génère des symptômes réactionnels posttraumatiques très sévères »(2). Tous les témoignages rapportent aussi le risque de désocialisation. Pour l’enfant, celle-ci commence par l’exclusion scolaire remplacée par une scolarisation familiale influencée par les principes de la secte ou relayée par des établissements sectaires. Lorsqu’ils sortent de la secte, ces enfants se retrouvent encore isolés, mal compris et vulnérables à toutes les formes de maltraitance si leurs spécificités ne sont pas reconnues et accompagnées. On constate aussi chez beaucoup d’entre eux une « déficience psycho-intellectuelle avec des troubles de la compréhension et de la mémoire »(3).   Que faire en cas de suspicion de menace sectaire ?   La gravité possible des conséquences doit nous amener à ouvrir les yeux sur cette maltraitance. Le but est de « désenclaver cet enfant sous double emprise : ses parents et le gourou ». On utilise le terme « déprise ». La suspicion de violences infligées, quelle qu’elles soient et quelle que soit la situation sectaire ou non sectaire, doit conduire les professionnels de santé à faire un signalement aux autorités compétentes : information préoccupante ou signalement judiciaire selon les cas. Mais la situation de dérive sectaire rend la prise en charge de l’enfant particulièrement difficile, ce qui explique sans doute notre méconnaissance et le faible nombre de signalements. Sonya Jougla donne trois explications à cette complexité : « l’enfant (et les parents !) ne peuvent sortir seuls de l’emprise sectaire, le parent adepte n’a pas conscience de l’état de souffrance de l’enfant et ne pense pas lui nuire, le parent non adepte est impuissant par rapport à la secte et au gourou ». Le ou les parents pensent que ne pas suivre les préceptes de la secte va nuire à leur enfant. La présence du gourou et l’organisation sectaire font écran à la réalité de la situation et à la prise en charge de cette forme de maltraitance. Repérer le risque de dérive sectaire peut être facilité par la connaissance d’un certain nombre d’indices publiés sous formes de tableaux par la Miviludes. Nous avons extrait trois d’entre eux particulièrement adaptés à notre exercice(1) : • Les risques relatifs au contexte familial et aux conditions de vie sont évoqués dans le tableau 1. Les dérives sectaires expose l’enfant à un risque socio-affectif en l’isolant de la partie de sa famille non sectaire, de ses amis, en interdisant les activités habituelles de son âge. • Le cadre éducatif et scolaire est impacté par l’emprise sectaire (tableau 2) ou lui-même l’organisateur d’une vie sectaire comme dans le cas de P., notre troisième tableau. P. nous donne des indices : dévalorisation systématique, suggestion d’une « âme damnée en rapport » avec les croyances sectaires. Il est rare que les parents ne soient pas eux-mêmes des adeptes de la secte organisatrice de ces « écoles de fait » hors contrat et non déclarées qu’elles soient confessionnelles (Fraternité Pie X) ou non. En dehors des conséquences nombreuses sur la santé physique et psychique que nous avons déjà décrites, des indices peuvent permettre aussi de de repérer des influences sectaires de praticiens qui auront des conséquences négatives pour l’enfant (tableau 3). Comme nous l’avons signalé précédemment l’entrée des familles dans la démarche sectaire peut se faire par le biais d’une pseudodémarche de soins. La plupart des sectes sont associées à des idées thérapeutiques dites alternatives sans aucune preuve scientifique et demandant aux parents parfois d’arrêter des soins essentiels. La plupart des faux thérapeutes n’ont aucune formation. Malheureusement les démarches sectaires peuvent être aussi propagées par des médecins et soignants eux-mêmes sous influence sectaire, en particulier les campagnes antivaccinales. Ces pratiques relèvent de l’exercice illégal de la médecine et doivent être signalés au conseil de l’Ordre. Aucun de ces indices n’a de valeur formelle mais ils aident au repérage des situations d’embrigadement ou d’orientation des parents vers des comportements sectaires. Confronté à la suspicion, le professionnel de santé ne doit pas rester seul. En plus du réseau des correspondants habituels de la protection de l’enfance (PMI, CRIP, UAPED, médecins référents de protection de l’enfance, parquet), des conseils plus spécialisés pourront être trouvés auprès d’institution ou association qui interviennent pour la prévention et l’action contre les dérives sectaires : la Miviludes (www.miviludes.interieur.gouv.fr/), l’UNAFDI (www.unadfi.org/), le CCMM (Centre contre les manipulations mentales : www.ccmm.asso.fr/). L’ensemble de ces structures délivrent une information sur les sectes et leurs dérives, mais conseillent aussi sur l’orientation et proposent des aides locales par leurs correspondants. La Miviludes, organisme gouvernemental, reçoit et instruit les signalements de dérive sectaire. Comme pour toutes les formes de maltraitance, les professionnels de santé « représentent le maillage possible d’un réseau protecteur et défenseur qui peut sortir les enfants de l’oubli et de l’emprise ». Article inspiré par les interventions de Sonya Jougla (psychologue, Montpellier) et Pascale Duval (Union nationale des associations de défense des familles et de l’individu victime de sectes, UNAFDI) au congrès 2023 de la Société française de pédiatrie (SFP) (Marseille). Il explore un sujet peu connu mais auquel les pédiatres doivent être sensibilisés afin d’identifier les enfants en danger.

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