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En direct des staffs

Publié le 05 juil 2023Lecture 7 min

Action… face à une détresse respiratoire

Marion BOULANGER, Solesne PAPILLARD-MARÉCHAL, Service d’Onco-hématologie pédiatrique, hôpital Ambroise-Paré (AP-HP), Boulogne-Billancourt

La rubrique « En direct des staffs » est ouverte à tout médecin d’un service de pédiatrie souhaitant partager avec les lecteurs de Pédiatrie Pratique les cas discutés dans son service et qu’il estime suffisamment intéressants et édifiants pour être portés à la connaissance de ses confrères.

Un nourrisson de 6 semaines est conduit aux urgences un soir de janvier pour une gêne respiratoire. Il est né à 39 SA + 4 j avec un poids de naissance à 3 165 g, une taille de 46,5 cm et un périmètre crânien de 34,5 cm. Il s’agit du premier enfant d’un couple non apparenté. Les échographies anténatales étaient sans particularité ; l’accouchement a été déclenché en raison d’un diabète gestationnel mal équilibré. Depuis sa naissance, le nourrisson a une prise de poids satisfaisante de 33 g/j, avec un allaitement mixte. Il est adressé par son pédiatre, vu le jour même, pour toux et détresse respiratoire, pleurs inhabituels sans fièvre depuis la veille et baisse d’alimentation du jour. À l’arrivée au SAU, il a un teint grisâtre, est apyrétique (36,8 °C), sa tension artérielle est normale à 90/55 mmHg, son pouls est à 160/min et sa saturation pulsée en oxygène à 100 % en air ambiant. Il est tachypnéique à 44/min et présente un balancement thoraco-abdominal, un tirage intercostal et un geignement expiratoire. L’auscultation pulmonaire est normale. Sur le plan circulatoire, on note des marbrures diffuses, des extrémités fraîches, un temps de recoloration cutanée à 3 secondes, les pouls fémoraux sont perçus, l’auscultation cardiaque met en évidence des bruits du coeur réguliers et un souffle systolique à 3/6 irradiant dans le dos. On note un discret débord hépatique sans hépatomégalie. Il est éveillé mais asthénique, non somnolent, avec contact et suivi oculaire, des pu pilles symétriques réactives, une légère hypotonie axiale et périphérique, une fontanelle antérieure normotendue et un périmètre crânien stable.   Diagnostic Bien que survenant en période épidémique de VRS, ce tableau de détresse respiratoire présente des atypies sémiologiques pour le diagnostic de bronchiolite aiguë. Des examens complémentaires biologiques et une radiographie de thorax de face avant tout remplissage vasculaire sont réalisés dans la crainte d’une pathologie cardiaque (troubles hémodynamiques, souffle cardiaque non connu). L’index cardiothoracique est légèrement augmenté à 0,6 (figure 1), la numération formule sanguine, ainsi que la CRP, la PCT et l’ionogramme sanguin sont normaux. Le gaz du sang veineux montre une discrète acidose avec pH à 7,31, pCO2 à 48 mmHg et des bicarbonates à 24 mmol/L. Figure 1. Radiographie de thorax de face. Une hydratation intraveineuse sans remplissage est décidée initialement, dans l’attente des marqueurs biologiques de dysfonction cardiaque. Le NT-proBNP est à 24 000 ng/L (n < 125) et la troponine à 0,069 μg/L (n < 0,034). L’électrocardiogramme ne présente pas d’anomalie significative en dehors de la tachycardie sinusale (figure 2). Figure 2. Électrocardiogramme. Après 2 heures d’hydratation intraveineuse, l’état hémodynamique s’améliore avec une meilleure coloration globale, normalisation du temps de recoloration cutanée et disparition des marbrures. L’examen clinique montre cependant une disparition des pouls fémoraux. On décide alors de rechercher un différentiel de tension artérielle entre membres supérieurs et inférieurs (la tension ayant été initialement prise aux membres inférieurs comme pour tous les nourrissons à l’accueil aux urgences). La tension artérielle au membre supérieur droit est à 145/100 mmHg et celle au membre inférieur droit à 92/68 mmHg. Les saturations pulsées en oxygène ne retrouvent pas de différentiel entre membres supérieurs et inférieurs. Un avis est alors pris en service spécialisé de cardiologie pour suspicion de coarctation de l’aorte et transfert. L’échographie transthoracique en centre spécialisé confirme le diagnostic de coarctation aortique avec isthme à 1,6 mm, ventricule gauche hypertrophié et hyperkinétique de fonction systolique préservée, fuite mitrale de grade 2, hypertension artérielle pulmonaire post capillaire, bicuspidie de la valve aortique et persistance du canal artériel. Notre patient est pris en charge chirurgicalement le lendemain par ligature du canal artériel et intervention de Crafoord (résection-anastomose). L’extubation et l’arrêt des inotropes a été possible à J2 de l’intervention avec autonomie respiratoire et reprise alimentaire à J3.   Discussion La coarctation aortique, décrite pour la première fois par Giovanni Morgagni au XVIIIe siècle, est une cardiopathie congénitale non cyanogène ducto-dépendante, avec une prévalence de 0,34/1 000 naissances(1). Elle représente 6 à 8 % des cardiopathies congénitales(2). La coarctation est fréquemment associée à une autre cardiopathie, la bicuspidie étant l’anomalie intracardiaque associée la plus fréquente avec une prévalence jusqu’à 45 à 62 %(2). Elle représente par ailleurs une part des cardiopathies identifiées chez les patients atteints d’une anomalie chromosomique(3), comme dans le syndrome de Turner où sa prévalence va de 7 à 18 % selon les études(2,4). Il s’agit d’un rétrécissement du calibre de l’aorte provoquant une obstruction à la circulation du sang qui peut survenir dans n’importe quelle région de l’aorte thoracique et abdominale. On observe couramment cette anomalie en aval de l’artère sous-clavière gauche au point où le canal artériel se connecte à l’aorte(5). Les anomalies de l’arc aortique sont en règle générale recherchées lors de l’échographie prénatale de croissance. Cependant, ces cardiopathies ne sont identifiées avant la naissance que dans 3 à 30 % des cas(6,7). Le diagnostic prénatal de coarctation est difficile en raison de la présence du canal artériel et d’un flux sanguin limité à travers l’isthme aortique in utero(8). Des études récentes ont mis en évidence qu’entre 20 et 30 % des nouveau-nés porteurs de cette pathologie peuvent sortir de maternité sans avoir été diagnostiqués(6,7). Le diagnostic est alors habituellement porté entre 5 et 14 jours de vie(7) sur un tableau de décompensation cardiaque volontiers brutal(3,8). La présentation clinique de la coarctation de l’aorte est dépendante de l’âge(2,3). La persistance du canal artériel assure une perfusion de la partie basse du corps permettant généralement aux nouveau-nés de rester asymptomatiques juste après la naissance tant que le canal est perméable(2). Les nouveau-nés, majoritairement dans les 15 premiers jours de vie, présentent des difficultés d’alimentation. La fermeture du canal artériel provoque une hypoperfusion des membres inférieurs avec des pouls fémoraux absents ou faibles, évoluant vers une acidose et un tableau d’insuffisance cardiaque, voire de choc cardiogénique(2,8). Chez les enfants plus âgés, le diagnostic est plus souvent fortuit, avec selon les cas des pouls fémoraux faibles mais palpables, une hypertension artérielle des membres supérieurs avec gradient de pression artérielle systolique des membres supérieurs et inférieurs, et un souffle systolique sur le bord supérieur du sternum avec rayonnement dans le dos(2,8) (tableau). La prise en charge de la coarctation aortique est systématiquement chirurgicale vers 3 mois de vie(2,3), ou d’emblée en cas de souffrance ventriculaire ou hypertension artérielle pulmonaire, comme cela a été le cas pour notre patient. En fonction de l’anatomie de l’arc aortique, du site de la coarctation et de l’âge du patient, diverses options chirurgicales sont possibles. Ces techniques consistent, par exemple, à réséquer la région autour de la coarctation et réaliser une anastomose des deux extrémités (technique de Crafoord) ou à réaliser une incision étendue puis suture de patch à travers la coarctation pour agrandir la région sténosée(3). En cas de coarctation artérielle récurrente, une angioplastie par ballonnet ou l’implantation d’un stent sont plus largement adoptées chez les enfants plus âgés, les adolescents et les adultes(3). Devant le risque d’endocardite d’Osler, une prophylaxie antibiotique est à maintenir en postopératoire et en cas de soins dentaires à risque. Le risque de recoarctation après intervention de Crafoord est évalué entre 4 et 11 %, ce qui justifie pour ces patients une surveillance tensionnelle et échographique jusqu’à l’âge adulte(3).   Points clés • La coarctation aortique est une cardiopathie dont la forme la plus courante est diagnostiquée dans les 2 premières semaines de vie, mais les formes tardives méconnues sont possibles. Dans ce cas clinique, plusieurs éléments trompeurs auraient pu nous faire écarter à tort le diagnostic de coarctation : un âge « tardif », une détresse respiratoire dans un contexte d’épidémie de bronchiolite, des pouls fémoraux initialement présents, une tension artérielle normale (mais prise aux membres inférieurs chez un nourrisson dans un service d’urgences), une radiographie de thorax subnormale. Le souffle non connu (d’après le carnet de santé d’un nourrisson régulièrement suivi) et la discordance entre la gravité de l’état clinique et des signes respiratoires modérés ont pu aiguiller le raisonnement et orienter vers la prise en charge d’une pathologie d’origine cardiaque. • La coarctation de l’aorte se révèle classiquement par un tableau de décompensation cardio-respiratoire avec pouls fémoraux qui peuvent être faiblement présents, et souvent avec la mise en évidence d’un souffle cardiaque. • La présence de pouls fémoraux n’élimine donc pas le diagnostic de coarctation et il faut ainsi penser à rechercher un gradient tensionnel entre les membres supérieurs et inférieurs. • La dégradation cardio-respiratoire et hémodynamique est potentiellement rapide avec risque de choc cardiogénique, d’où la nécessité de ne pas retarder le diagnostic et sa prise en charge.

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