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Psycho-social

Publié le 03 jan 2023Lecture 11 min

Covid, confinement et inégalités sociales en santé de l’enfant

Georges PICHEROT, CHU de Nantes

L’épidémie/pandémie/syndémie de Covid, dont nous ne sommes pas encore complètement sortis, a entraîné beaucoup de bouleversements dans les acquis sur la santé. Si les inégalités existaient auparavant, la crise les a amplifiées et rendues plus visibles.

Comme le constate, la DREES dans son analyse de l’état de santé de la population française en 2022 : « L’épidémie de Covid a directement et indirectement affecté la santé de la population ». Quatre paramètres sont analysés dans ce rapport : l’espérance de vie, la surmortalité, la relation entre formes graves et inégalités sociales, la prise en charge hospitalière bousculée et les santés psychiques en particulier des jeunes(1). Ceci faisait suite aux propos d’un rapport antérieur soulignant que : « la crise de Covid-19 vient ajouter un mécanisme supplémentaire et nouveau dans sa nature et son ampleur dans l’histoire des épidémies : les inégalités face au confinement »(2). Le constat de l’OMS de 2021 allait dans le même sens, « La pandémie de Covid-19 a trouvé dans les inégalités de nos sociétés et les lacunes de nos systèmes de santé, un milieu propice à sa propagation »(2). La santé somatique des enfants semble être moins affectée que celle des autres populations vulnérables, mais ils ont indirectement été atteints par le virus dans leur bien-être au travers des difficultés familiales, des restrictions scolaires, des diminutions des échanges sociaux et des incitations d’utilisation des espaces numériques, qui sont autant de déterminants importants pour leur santé. De nombreuses publications ont porté sur ces conséquences indirectes de cette crise mais peu ont abordé le problème spécifique des enfants.   Définition et spécificités pédiatriques Les inégalités sociales de santé peuvent être définies comme « les différences d’état de santé entre individus ou groupes d’individus, liées à des facteurs sociaux qui sont inéquitables, c’est-à-dire moralement ou éthiquement inacceptables, et potentiellement évitables »(4-5). En dehors des situations épidémiques, le retentissement sur la santé de l’enfant des inégalités sociales est connu et important. Nous avons bien intégré en pédiatrie le concept de santé globale de l’OMS : « un état de complet bien-être physique, psychique et social ». Nous restons loin d’une égalité en matière de santé, principal facteur expliquant que l’on n’atteigne pas ces objectifs de santé globale. Il existe chez l’enfant de nombreux déterminants de santé, facteurs d’inégalités en dehors même du facteur âge : le handicap, la précarité, l’environnement familial défaillant ou absent, l’isolement territorial, etc. Covid, enfant et inégalités sociales Ce sujet est loin d’être complètement évaluable mais nous analyserons au travers de quelques publications cinq aspects : le confinement, la scolarité et les crèches, la vie à la maison, la protection de l’enfance et la santé psychique. Le « grand confinement » a été appliqué en France du 17 mars 2020 au 11 mai 2020 puis prolongé jusqu’au 15 juin pour certaines régions. Des confinements partiels ont été observés fin 2020 et fin 2021. Ils ont entraîné une restriction drastique des sorties du domicile familial, une fermeture de presque toutes les écoles et donc des accès aux cantines scolaires, un arrêt de toutes les activités économiques. Les crèches et les écoles maternelles ont été également fermées. Cette mesure ajoutée aux autres avait pour but louable de freiner le développement de l’épidémie en diminuant les contacts. La reprise des activités s’est faite progressivement et a été suivie de nombreuses interruptions scolaires liées aux diagnostics. Le confinement a été relativement bref en France et beaucoup plus prolongé dans certains pays. Ici, comme ailleurs, on a osbervé les conséquences directes ou indirectes sur la santé de l’enfant. Nos collègues pédopsychiatres ont parlé des « 4C » en lien avec le confinement : Claustration, Compression temporo-spatiale, Contrainte, Contamination (chacun ayant des spécificités en rapport avec l’épidémie et le confinement(6) : « La contamination est d’ordre infectieux, mais elle se propage et s’étend aussi aux sphères relationnelles, éducatives et économiques qui sont envahies par les conséquences de l’épidémie au Covid-19 et le confinement : peur d’être infecté par les contacts physiques et sociaux ».   « La reprise scolaire a été également inégalitaire »   La précarité des familles antérieurement vulnérables a augmenté, particulièrement celles qui n’ont pas eu accès aux aides (migrants, populations des bidonvilles). La reprise scolaire a été également inégalitaire et marquée par des décrochages. Les interruptions de soins ont été limitées pour les maladies chroniques, mais le recours aux soins, déjà antérieurement peu accessibles pour les populations en situation de précarité, a diminué : ophtalmologie, soins dentaires notamment. D’autres conséquences ont été constatées : augmentation des violences intrafamiliales et de la maltraitance, dégradation de la santé mentale, en particulier chez les adolescents. • La maison La pandémie a augmenté les temps de cohabitation des enfants et des parents au domicile du fait du confinement puis des arrêts scolaires et des arrêts des sites d’emploi. Le constat a été rapidement fait d’une inégalité importante liée à l’habitat par la suroccupation et l’insalubrité : « Dix pour cent des couples et 25 % des familles monoparentales avec un ou des enfants de moins de 10 ans vivent dans un logement suroccupé... Le surpeuplement du logement affecte 20 % des ménages parmi les 20 % les plus modestes, 10 % des ménages parmi les 20 % aux niveaux de vie immédiatement supérieurs et seulement 4 % des ménages plus aisés »(7). Les enfants ont vécu avec la difficulté de la promiscuité liée au confinement et aux mesures d’interruption scolaire. Plus l’habitat est précaire plus les conséquences sont importantes. Ceci a été montré dès 2020 à propos d’une population française particulièrement vulnérable : « Les effets du mal-logement sont démultipliés en période de confinement. À l’heure où chacun doit rester chez lui pour une durée indéterminée, les familles mal logées sont exposées à des problèmes de santé physique et mentale. Pour les familles qui vivent en situation de surpeuplement ou en habitat indigne, rester des semaines enfermées est lourd de conséquences. Habiter dans ces conditions a des conséquences directes sur la santé, etc. Dans l’habitat indigne, les ventilations défectueuses et l’humidité sont fréquentes et peuvent favoriser l’apparition ou l’aggravation de maladies respiratoires. Par ailleurs, le surpeuplement a des effets avérés sur le développement des jeunes enfants et sur la réussite scolaire des plus grands. Les risques d’accident domestique, déjà nombreux dans ces logements, sont eux aussi amenés à se démultiplier. Le mal-logement prolongé met aussi à rude épreuve l’équilibre psychologique des habitants »(8).   « Une inégalité importante liée à l’habitat par la suroccupation et l’insalubrité » • L’école et les crèches Selon les données de l’UNESCO, en 2020, plus de 89 % des enfants dans le monde ont cessé de fréquenter les écoles et les crèches (figure). La communauté pédiatrique, en particulier française par la voix des sociétés savantes pédiatriques, a réagi contre ces fermetures justifiées par la démarche de prévention infectieuse mais désastreuse sur l’un des principaux déterminants de santé de l’enfant : l’école. Il a été rappelé que l’école n’avait pas seulement un rôle d’apprentissages des matières mais aussi un rôle important dans le développement des compétences sociales et émotionnelles, la sécurité (en particulier dans la prévention des violences intrafamiliales), la prévention nutritionnelle, le maintien des activités physiques,etc.(9). Plus récemment, Lemkow constate : « Il est important de se rappeler que les écoles et les crèches ne sont pas seulement des lieux d’apprentissage et de socialisation pour les enfants, ce sont aussi des lieux où les familles/ménages (et en particulier les mères) peuvent recevoir le soutien des pairs et des éducateurs. Des lieux où la construction de réseaux de soutien informels pour ceux qui ont besoin de reconnaissance sociale, de dépendance à la sororité et d’accompagnement pédagogique par leurs pairs peut être construite et renforcée. La fermeture périodique  des écoles a entraîné la disparition pratique de certains des filets de sécurité de soutien aux enfants, en particulier ceux issus de milieux vulnérables, conduisant même certains d’entre eux à passer à travers ce filet de sécurité »(10). Figure. Fermetures des établissements scolaires pendant l’épidémie de Covid selon l’ONU (données Unesco). « Fermer les écoles, c’est accepter que des enfants subissent à nouveau des violences intrafamiliales »   Les solutions alternatives par l’utilisation pour l’école d’un enseignement distanciel a montré ses limites, en particulier en se basant sur une forte inégalité des équipements et des dimensions des logements. Le rapport de l’UNICEF 2021 indique que plus de 1,6 milliard d’enfants ont subi une certaine perte d’éducation, dont au moins 463 millions n’ont pas pu accéder à l’enseignement à distance. « Fermer les écoles, c’est accepter que des enfants subissent à nouveau des violences intrafamiliales, c’est creuser les inégalités sociales », selon un communiqué de la Société française de pédiatrie (SFP 2021). Maltraitance et protection de l’enfance Le domaine de la protection de l’enfance est un observatoire des inégalités comme de son éventuelle prévention. Pendant la période de confinement, les appels au SNATED (119 Service d’Aide Téléphonique aux Enfants Maltraités) auraient augmenté de plus de 50 %. Si les hospitalisations d’enfant ont globalement diminué pendant cette période, la part du motif « violences physiques » aurait augmenté de 50 %. Le constat paradoxal de la baisse d’activité d’une Unité hospitalière des enfants en danger (UHED) a été associée à une nette augmentation de la gravité qui s’est poursuivie après la levée du confinement(11). Une étude faite dans la région parisienne a montré l’augmentation importante des traumatismes crâniens infligés, avec également un accroissement de leur gravité(12). Les effets de la perturbation de la vie familiale sont une des explications, avec une augmentation de la promiscuité(8). Le repérage et la protection ont aussi diminué pendant la pandémie expliquant ces évolutions. Les enfants devraient toujours « avoir accès aux services de santé, aux services sociaux, aux garderies et à l’école »(10). Dans un travail publié en septembre 2022 et effectué dans 7 pays, il a été montré que la pandémie a abouti à une double marginalisation des enfants vivant dans des milieux précaires. Ils ont été marginalisés une fois avant la pandémie, car leurs besoins étaient souvent sans réponse de la part des États et, de nouveau pendant la pandémie, car ils étaient davantage exclus de la prise de décision. Les auteurs soulignent « l’impact négatif des confinements sur la capacité d’identifier et de répondre aux enfants maltraités »(13). La fragilité des enfants confiés à la protection de l’enfance a aussi été constatée avec des modifications imposées des sorties et des contacts familiaux protégés.    « Une double marginalisation des enfants vivant dans des milieux précaires » Les effets psychologiques La dégradation de l’état psychologique des enfants et des adolescents pendant la période de pandémie a été constatée de nombreuses fois. En France, l’Ined a montré que 13 % des enfants de 8-9 ans ont présenté des troubles émotionnels, 22 % des troubles du sommeil. Dans l’analyse des Bulletins hebdomadaires de santé mentale, Santé Publique France relève une augmentation importante des passages aux urgences des adolescents de 11-17 ans pour geste suicidaire, idées suicidaires et troubles de l’humeur. Les résultats préliminaires de l’étude CONFEADO confirment ces impacts psychologiques graves de l’épidémie et montrent la relation avec les inégalités sociales : « Les enfants et les adolescents qui ont ressenti davantage de détresse sont ceux qui étaient issues de familles plus fragilisées (familles monoparentales, avec un niveau d’études plus faible, davantage ouvriers ou employés, nés à l’étranger, et en situation d’isolement social) et exposés à des conditions de logement difficiles... et des conditions économiques difficiles »(14). De nombreux services de pédiatrie français ont été débordés par une demande d’hospitalisation pour des motifs psychologiques, particulièrement d’une population d’adolescents sans doute victimes de l’inadaptation des services de santé aux problématiques de leur âge, reflet aussi des inégalités en santé. La dégradation de la santé psychique des enfants et adolescents en lien avec l’épidémie est aussi un constat mondial. Un enfant/adolescent sur quatre dans le monde présente des symptômes de dépression, un sur cinq des symptômes d’anxiété, ce qui est le double des estimations prépandémiques et entraîne un afflux de ces situations dans les système de santé(15).   Des pistes pour le futur Dans son rapport sur la « Gestion de l’épidémie Covid-19 et inégalités sociales de santé des enfants », datant de 2020, le HCSP émettait déjà des propositions dites « leçons pour le futur » (encadré). Plus récemment, le Comité Consultatif National d’Ethique (CCNE) plus récemment(16) aborde aussi le problème des inégalités sociales en santé et propose des pistes en donnant une place importante à l’éthique dans l’analyse des conséquences de la crise. « Viser l’équité, prévenir ou corriger les inégalités, nécessite que (les) politiques ne se limitent pas au champ sanitaire mais considèrent aussi, à travers la promotion de la santé, ses dimensions sociales, humaines et environnementales. La définition des politiques de santé et les réformes du système de soins doivent intégrer l’idée que les conditions sociales se répercutent sur les situations de santé, et que la lutte contre les inégalités commence bien en amont du système de soins, avec une attention particulière apportée aux personnes les plus vulnérables, et notamment aux personnes exilées en situation précaire, qu’elles soient réfugiées, demandeuses d’asile ou sans titre de séjour ». Le CCNE estime que d’« importants investissements humains et financiers dans les champs de la médecine scolaire et universitaire, de la Protection maternelle et infantile (PMI) (...) pourraient répondre à cette nécessité. En tant qu’outils historiques et fondamentaux de la déclinaison des politiques de santé publique, ces institutions pourraient voir leurs prérogatives renforcées et étendues afin de favoriser en leur sein des dispositifs de collaboration avec les instances ». « La crise a agi comme un révélateur de situations antérieures dégradées » Ces constats et propositions rejoignent la préoccupation des pédiatres exprimées au travers des lettres récentes adressées aux autorités. La crise a agi comme un révélateur de situations antérieures dégradées ou insuffisamment prise en compte comme les aspects sociaux et psychologiques, qui devraient être plus intégrées aux préoccupations de soins. Plus globalement, la santé des enfants et des adolescents a été « négligée depuis des années (petits enfants = petits problèmes = petits moyens) », « des mesures radicales sont urgentes faute de quoi nous ne pourrons maintenir ce que les Français ont pourtant de plus précieux : LA SANTÉ DE LEURS ENFANTS », d’après C. Gras Leguen (communiqué de la SFP, octobre 2022).

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