Publié le 12 mai 2025Lecture 5 min
Régurgitations ne veut pas dire reflux gastro-œsophagien
Denise CARO, Boulogne-Billancourt

Un reflux gastro-œsophagien (RGO) physiologique se manifeste par des régurgitations simples caractérisées par l’extériorisation sans effort d’une partie du contenu gastrique. Il est infiniment plus fréquent qu’un RGO pathologique. Et tous les experts s’accordent pour dire qu’il s'agit là d’une situation parfaitement anodine(1).
Le plus souvent il s’agit de régurgitations banales qui peuvent néanmoins être inquiétantes pour les parents, surtout si elles sont importantes et explosives. « Le problème est de faire comprendre cela aux parents, constate Marc Bellaïche (hôpital Robert Debré, Paris). Il faut faire attention aux mots prononcés : vomissements ou reflux gastro-œsophagiens, même qualifiés de physiologiques, de bénins ou de transitoires, inquiètent les parents qui seront enclin à demander davantage d’examens et de traitements médicamenteux(2). Il est préférable de parler de régurgitations, de rejets ou de remontées. Et il faut expliquer que si le bébé régurgite, c’est un simple problème de contenant/contenu. » La taille de l’estomac du bébé n’est pas adaptée à la quantité de lait qu’il doit ingérer ; l’estomac de certains petits nourrissons ne se distend pas suffisamment pour accepter le volume de lait bu. Si à l’âge d’un mois, un bébé boit un biberon de 150 ml alors que la capacité de son estomac se limite à 80 ml, il en régurgitera une partie. À noter qu’aujourd’hui, les nourrissons sont couchés sur le dos et que cette position est moins favorable que celle adoptée par les femmes africaines qui portent leur enfant en position verticale dans le dos.
Procéder par étapes
La Haute Autorité de santé (HAS) a émis en 2024 des recommandations de bonnes pratiques de prises en charge du RGO chez l’enfant de moins de 1 an(3). Face à des régurgitations simples, la conduite à tenir est la suivante. En première intention, quelques mesures simples permettent d’améliorer bien des situations. Il faut évaluer les prises alimentaires et corriger les quantités en cas d’erreur. La façon de préparer et de donner le biberon est également réexpliquée : l’eau doit être mise dans le biberon avant la poudre, sinon le lait est trop concentré. Il ne faut pas forcer l’enfant à finir le biberon et le temps doit être pris pour faire des pauses et des rots. Si besoin, on peut fractionner les repas.
Si après une période d’au moins 2 semaines, cela n’a pas suffi, on propose d’essayer un lait anti-régurgitation. Plusieurs études ont montré son intérêt. Quel que soit l’épaississant – variation du taux de caséine ou hydrolyse partielle des protéines – les régurgitations sont améliorées(4), avec parfois même un effet sur la pHmétrie(5). En troisième ligne, si après au moins 2 semaines on n’a pas obtenu le résultat escompté, on peut essayer de donner des hydrolysats poussés de protéines non épaissis (c’est-à-dire un lait sans protéines de lait de vache, non épaissi) pendant 2 à 4 semaines pour tester l’éventualité d’une allergie non IgE-médiée. « Toutefois, s’il n’y a pas d’eczéma, si l’enfant grossit bien, cet essai est rarement concluant, précise M. Bellaïche. Dans moins de 1 % des cas, des régurgitations révèlent une allergie aux protéines de lait de vache »(6).
Alginates plutôt qu’inhibiteurs de la pompe à protons
En cas d’échec du test d’éviction des protéines de lait de vache et/ou si les symptômes aiguillent vers un RGO pas tout à fait physiologique, les recommandations anglaises(7) et européennes(1) estiment que les alginates ont une place chez les nourrissons qui ont des remontées un peu acides. « Attention au moment de donner le Gaviscon®, a prévenu M. Bellaïche. Il faut le faire avant et non après le repas, car c’est avant le repas que la pompe à protons secrète le plus. Attention aussi à respecter les doses. Un surdosage risque d’entraîner un bézoard du fait des propriétés épaississantes de l’alginate(8) ». La HAS recommande la dose quotidienne de 1ml x 6 entre 0-1 mois,1,5 ml x 5 de 1 à 2 mois, de 2 ml x 5 de 2 à 4 mois, de 2,5 ml x 4 de 4 à 18 mois et de 5ml x 4 à partir de 18 mois(9).
La place des inhibiteurs de la pompe à protons (IPP) est très limitée. Aucun n’a d’autorisation de mise sur le marché (AMM) avant l’âge de 1 an. « Or ils sont bien trop souvent (et de plus en plus) prescrits(10), alors qu’ils n’ont pas montré de façon irréfutable leur efficacité à améliorer les symptômes de RGO chez l’enfant de moins de 1 an(11,12) et qu’ils sont susceptibles d’avoir de nombreux effets indésirables, dont certains peuvent être graves(13) », a souligné Thierry Lamireau (CHU de Bordeaux).
Selon la HAS, chez l’enfant âgé de 1 mois à 1 an, le recours à un IPP (hors AMM) est réservé au traitement d’une œsophagite par reflux authentifiée par endoscopie œso-gastroduodénale ou d’un RGO pathologique occulte. En cas de régurgitations extériorisées excessives et persistantes associées à d’autres signes de RGO pathologique, les IPP ne sont pas indiqués en première intention. Selon le contexte et dans le cadre d’une décision médicale partagée, un traitement par IPP (hors AMM) peut être envisagé après échec des mesures hygiénodiététiques, échec du test d’éviction des protéines du lait de vache, échec du traitement antiacide, et authentification par pHmétrie œsophagienne des 24 heures ou pH-impédancemétrie œsophagienne, si disponibles. Un traitement de 4 à 8 semaines est alors envisagé à la posologie la plus faible possible dans un premier temps puis reconsidéré par le spécialiste.
Plusieurs troubles fonctionnels associés
« En pratique, la majorité des nourrissons (2/3) n’ont pas un mais plusieurs troubles fonctionnels intestinaux qui sont mêlés(14) ; des questionnaires permettent de débrouiller ces situations », a ajouté M. Bellaïche. Plusieurs questionnaires validés ciblent l’ensemble des troubles fonctionnels liés au confort digestif de l’enfant et pas seulement les régurgitations. Avec 12 questions, l’IGSQ (Infant Gastrointestinal Symptom Questionnaire) permet de savoir si le bébé est confortable ou pas de façon très pertinente(15). Le GIGER (infant/toddlers) est un peu plus long mais il montre aussi l’association des différents troubles fonctionnels intestinaux(16).
Par exemple, face à un nourrisson qui régurgite, il faut rechercher s’il est dyschésique (besoin excessif de pousser avant de faire une selle) ou s’il est constipé. Le traitement de la constipation permet souvent d’améliorer les régurgitations, l’efficacité étant prouvée à la pHmétrie(17).
« Il faut considérer de façon holistique le bébé dans son intégralité et informer et rassurer les parents avec des termes appropriés », a conclu M. Bellaïche.
D’après les communications de Marc Bellaïche (hôpital Robert Debré, Paris) et de Thierry Lamireau (CHU de Bordeaux)
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