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Psycho-social

Publié le 05 jan 2022Lecture 10 min

L’enfant et le dessin

Jérôme VALLETEAU DE MOULLIAC, Paris

Le verbe dessiner vient du mot latin designare qui signifie désigner, marquer d’un signe, et ainsi laisser une trace qui avec le développement de l’enfant aura une signification quelle qu’elle soit.
Dessiner est un acte complexe qui nécessite l’intervention, l’intégrité et la parfaite coordination de mécanismes biologiques, cérébraux, sensoriels et moteurs. Ainsi, la capacité de dessiner suit et accompagne le développement psychomoteur de l’enfant. L’évolution du dessin, du gribouillage du nourrisson aux dessins du préadolescent serait le témoin d’une représentation de plus en plus construite de la réalité.

L’évolution du dessin et le développement de l’enfant De nombreux auteurs de spécialités différentes ont étudié le dessin de l’enfant surtout depuis le début du XXe siècle. Citons, entre autres, Georges Henri Luquet(1) qui en 1827 publiait un ouvrage de référence : Le dessin enfantin. On peut ainsi schématiser l’évolution du dessin de l’enfant en différents stades. De 1 à 3 ans : le gribouillage L’enfant laisse une trace sous forme de traits spontanés ; c’est un plaisir purement moteur (ce qui intéresse l’enfant est l’activité elle-même non le résultat) qui aboutit cependant avec le temps à la découverte de la représentation. L’enfant comprend alors que son gribouillage peut représenter quelque chose pour lui et son entourage. Il faut noter que le langage oral, les premiers mots n’apparaissent qu’autour de 18 mois. Vers 3 ans : le réalisme « fortuit » de Luquet(1) Apparaît alors le rapprochement entre un tracé totalement hasardeux et l’apparence d’un objet. Le geste devient intentionnel et représentatif, il commence à avoir une signification même s’il n’y a pas encore d’analogie franche entre ce que l’enfant dessine et ce qu’il nomme : la représentation de la réalité survient pendant ou après la réalisation du dessin. C’est à ce stade qu’apparaît la première représentation humaine : bonhomme têtard de J. Royer(2). Vers 4-5 ans : le réalisme « manqué » de Luquet(1) C’est la période de l’école maternelle. Le dessin devient intentionnel, significatif et narratif. L’enfant acquiert la lecture d’images de plus en plus complexes et peut ainsi faire des analogies entre le dessin et la réalité. Il peut réaliser des objets « flottants » dispersés sur l’espace graphique sans ordre ni limites. La verticalité n’est pas encore parfaitement acquise (maison à cheminée penchée) ni la perspective ; les objets sont projetés au sol ; c’est ce que Royer(2) désigne sous le nom de dessin « éparpillé ». Apparaît la transparence, l’enfant dessine des choses cachées (ex. : maison avec ce qui se passe à l’intérieur ou poussin dans un œuf), mais aussi la couleur et le coloriage (4/5 ans). Les éléments du dessin sont disproportionnés : il dessine de façon plus volumineuse ce qui pour lui est important. Mais les personnages sont encore très schématiques en forme de « pantins ». Entre 5 et 9 ans : le réalisme « intellectuel » de Luquet, le réalisme enfantin de Wildöcher(3) C’est alors la reproduction de « ce qu’il sait » et non de ce qu’« il voit ». Les formes graphiques se réfèrent à la représentation mentale de l’enfant, l’enfant peut ne représenter qu’un seul thème, mais avec une multiplication des détails, de points de vue. C’est entre 6 et 8 ans que se développe pour Royer le dessin localisé : précision du lieu, du temps, des saisons, de la proportion des personnages, de la différenciation des sexes, des vêtements, etc. Le graphisme devient conventionnel. L’enfant peut utiliser la règle et la gomme. On conçoit l’influence de la scolarité et l’aptitude que peut avoir l’enfant pour le dessin. De 9 à 11 ans : le réalisme visuel de Luquet(1),le dessin temporaliséde Royer(2) L’enfant peut dessiner ce qu’il voit et va tenter de se conformer à l’apparence des objets. Apparaissent alors la perspective, les détails identifiants les personnages dont la représentation devient plus précise (profil, visage, sourire, artifices vestimentaires et décoratifs), les fenêtres des maisons ont des volets, des rideaux, le jardin a des barrières. Les proportions sont de mieux en mieux respectées. Le dessin devient vraiment, selon R. Baldy, représentatif, voire artistique. Vers 12-13 ans : le stade critique de Royer(2) Les préadolescents ont de moins en moins de spontanéité créatrice, mais un usage croissant de stéréotypes. C’est l’âge de l’auto-critique et de la déception de leur entreprise surtout s’ils manquent de technique ou d’intérêt qui entraînent un déclin du dessin considéré comme un enfantillage ou du temps perdu (figure 1). Ainsi, le dessin atteint progressivement un réalisme figuratif. La qualité graphique, la richesse des détails, la morphologie du corps évoluent avec l’âge alors qu’apparaît l’identité sexuelle selon R. Baldy(4) (figure 2). Les vertus du dessin Le dessin évolue certes avec le développement psychomoteur de l’enfant, mais y contribue aussi. C’est pourquoi il est inclus dans les disciplines scolaires et parascolaires avec des recommandations précises de l’Éducation nationale. Cette activité doit cependant rester un loisir, un plaisir. Le dessin contribue Au développement cognitif : l’enfant doit utiliser ses connaissances pour réaliser des dessins. En particulier la capacité de copier, mais aussi de mémoriser. Ce travail cérébral stimule entre autres le sens de l’observation. Au développement de la coordination et de la maîtrise des gestes : le déplacement des mains sans contrôle et sans respect des limites d’une feuille blanche du tout-petit laisse place progressivement au dessin de formes géométriques, au traçage de lignes horizontales, verticales. L’enfant arrête de dessiner quand le résultat souhaité est obtenu. Il arrive à respecter les limites de la feuille. À l’amélioration de la motricité fine : avec le dessin d’éléments de plus en plus détaillés, sur des surfaces plus restreintes et la réalisation de formes de plus en plus compliquées dans le cadre fixé. À l’affirmation de son caractère : l’enfant s’exprime entre autres par le dessin. Il se teste et peut développer, créer de nombreuses variations de thèmes, de couleurs selon son état émotionnel ; par exemple les traits peuvent être appuyés s’il est énervé ou au contraire plus légers s’il est détendu. Il acquiert la patience nécessaire pour réaliser le dessin qu’il a en tête, et fait les efforts de patience et de concentration pour y parvenir. Au développement du sens artistique, de la créativité, de l’imagination : certes pour représenter les personnages et objets de son choix, mais aussi pour verbaliser ce qu’il a réalisé. Son dessin devient le support d’histoires incroyablement riches et il peut être intarissable sur le sujet si on le questionne, avec parfois des interprétations différentes pour le même dessin selon le moment et l’interlocuteur. À l’expression de ses émotions : le dessin devient ainsi un outil de communication qui permet à l’enfant de « parler » par le graphisme, ce qui peut aider parents et acteurs de la santé de l’enfant à mieux les connaître. À la détente et au plaisir s’il est spontané et non imposé. Le dessein du dessin(4,5) Devant l’intérêt que peut avoir l’enfant pour le dessin, on peut se poser certaines questions : cette activité est-elle spécifique, originale et spontanée ? Il est vrai que les enfants sont de plus en plus stimulés et incités à l’activité graphique ne serait-ce que par l’abondance d’images, d’illustration, véhiculées par les livres, les bandes dessinées et les écrans (entre autres) qui font maintenant intégralement partie de leur environnement, et d’ailleurs bien avant leur entrée à l’école qui se fait de plus en plus tôt : situation très différente de celle qu’ont vécue les générations antérieures. Cependant, l’enfant aime dessiner sans obligation, quelles que soient les pressions éducatives, socio-culturelles stimulantes ou inhibantes qui l’entourent à condition qu’on lui en donne le temps (ce qui s’est vérifié pendant les récentes périodes de confinement). L’enfant a toujours aimé spontanément dessiner : le graphisme infantile est aussi caractéristique que le langage ou le jeu enfantin (dans nos salles d’attente si on lui en donne les moyens le jeune enfant va dessiner et éventuellement nous faire le don de son œuvre). Mais tous ne dessinent pas avec le même plaisir surtout quand cette activité lui est imposée ; en effet, cela peut lui être demandé par des plus grands ou des professionnels « dessine-moi un bonhomme ». C’est ainsi que le dessin est considéré comme une activité libre gratuite et gratifiante pour l’enfant qui s’inscrit dans une dimension de jeu et de plaisir, et donc ludique jusque 8/9 ans : (joie de faire). Mais lorsque le dessin devient figuratif, que ce soit de l’imitation ou de la création, il reflète une évocation personnelle de la réalité. L’acte de dessiner est aussi un processus cathartique naturel qui a un rôle thérapeutique. Le dessin est un message et un autoportrait dans lequel apparaissent les préoccupations présentes, l’histoire passée et le devenir de l’enfant. C’est aussi un don, un cadeau, un présent à celui qu’il aime qui peut même être son médecin. Certains enfants sont de véritables artistes qui expriment par le dessin de réels talents graphiques naturels. C’est donc une activité qui a de très nombreuses facettes, mais c’est surtout un véhicule d’émotions : le dessin est un « langage », un outil de communication indissociable de l’enfance. C’est un langage graphique qui précède puis complète et/ou se substitue au langage oral. En effet, c’est le seul et unique moyen d’expression dont dispose l’enfant qui n’a pas atteint l’âge d’écrire. C’est un substitut à la parole. Ce « langage » a une portée universelle : il n’y a pas de grammaire, d’orthographe, de mots étrangers. Tous les enfants du monde dessinent : bonhomme, maison, famille, objets familiers surtout. Ce mode d’expression résiste au temps et à la culture certes, mais les préférences de l’enfant sont conditionnées par les conditions de vie concrète (physiques ou géographiques), des traditions culturelles locales, un environnement graphique. Représenter sa classe : les dessins de deux enfants (figure 3) A : tout est bien rangé, les élèves sont tous à leur place, devant la maîtresse à son bureau, qui leur fait face. B : la fillette est l’élément principal et la seule attention de sa maîtresse. Ses créations reflètent ses émotions et son état d’esprit. Joie, tristesse, désirs, préoccupations présentes ou passées (images de guerre par exemple). Dessiner son environnement (figure 4) Le choix des couleurs et la taille de certains personnages ou objets sont révélateurs. Les couleurs, classiquement des couleurs chaudes, expriment un bon équilibre affectif, les sombres la tristesse, le rouge l’agressivité, noir le deuil, la dépression, l’angoisse, mais cela reste culturel, car c’est le blanc en Chine ou au Japon. La taille reflète l’importance ou la valorisation d’un personnage d’un objet ou un affect positif. Dessin et genre (figure 5) Il y a bien sûr de grandes différences dans les dessins de filles ou de garçons dans les thématiques :  les garçons dessinent surtout des véhicules des bâtiments, les filles des animaux des fleurs des scènes domestiques ;  les garçons des monstres et dinosaures ; les filles des rois et reines ;  les garçons des scènes plus violentes et agressives, viriles ; les filles sont plus paisibles dans le choix des couleurs ; les filles utilisent une palette de couleurs plus chaudes et plus larges que les garçons : est-ce lié à la pression sociale, culturelle familiale ? Quant à l’identité sexuelle pour Baldy, le sexe dessiné pourrait être une indication de l’identification de l’enfant à sa catégorie sexuelle. L’interprétation des dessins Les dessins de l’enfant sont comme des hiéroglyphes dont on ne maîtrise pas toujours facilement le décodage. Sont-ils l’expression d’une normalité, d’une pathologie, d’un environnement heureux, malheureux, d’une souffrance, de traumatismes ? Certes, les psychologues et les pédopsychiatres, les utilisent à la fois pour affiner leur diagnostic, faciliter leur prise en charge : cela leur permet d’établir un dialogue singulier avec l’enfant pour raconter l’histoire de son dessin, lui permettre de le commenter sans le critiquer. Le dessin est ainsi très utile pour comprendre la personnalité de l’enfant et ses non-dits. On peut facilement s’y exercer dans nos cabinets, ce qui apporte une attention particulière et supplémentaire à l’enfant qui se sentira gratifié du don de son dessin. Pour écouter un enfant, entendons ses dessins.Le dessin est un langage graphique qui transmet tant sur son développement, ses émotions. Si le dessin est bon pour la santé des enfants, c’est aussi pour le médecin et les parents un bon moyen de mieux le connaître. On peut ainsi voir de quelle manière il s’affirme, s’il fait preuve de timidité, s’il a confiance en lui... Et mieux connaître ses centres d’intérêt. « Les tout-petits aiment dessiner, ce n’est pas nouveau ! En laissant courir leur crayon sur le papier, ils nous parlent d’eux-mêmes et nous livrent leur vision du monde. L’évolution de leurs dessins témoigne de leur développement intellectuel et affectif », René Baldy. Encore faut-il leur en donner les moyens et le temps et savoir les solliciter. « Dans chaque enfant, il y a un artiste. Le problème est de savoir comment rester un artiste en grandissant. »« J’ai mis toute ma vie à apprendre à dessiner comme un enfant. » Pablo Picasso.

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