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Douleur

Publié le 21 oct 2020Lecture 4 min

Les enfants victimes de maltraitance ont-ils moins mal ?

Marie-Hélène DROUINEAU, Elise GUENEGO, Véronique SEBILLE-RIVAIN, Bénédicte VRIGNAUD, Martine BALENÇON, Thomas BLANCHAIS, Karine LEVIEUX, Nathalie VABRES, Georges PICHEROT, Christèle GRAS-LE GUEN, CHU de Nantes

Malgré des consultations itératives aux urgences, les enfants maltraités sont diagnostiqués tardivement. Leurs douleurs aiguës ne semblent pas reconnus par les soignants. L’expriment-ils différemment comparé aux autres enfants ? Une étude du CHU de Nantes a voulu répondre à cette question.

La maltraitance des enfants est un problème majeur de santé publique. L’une des principales difficultés est de faire le diagnostic avec certitude, car il s’agit d’un diagnostic de présomption, qui repose sur un faisceau d’arguments, dont aucun n’est pathognomonique. Les enjeux actuels en pédiatrie sont l’amélioration du dépistage précoce des enfants maltraités et l’amélioration du diagnostic même de la maltraitance. En effet, ces enfants consultent de nombreuses fois aux urgences pédiatriques, pour des motifs variés, avant que le diagnostic ne soit posé(1-5). La littérature sur la douleur des enfants maltraités concerne essentiellement la douleur chronique, mais leur douleur aiguë n’est pas évoquée. Une étude pilote réalisée à Nantes avait suggéré que la douleur aiguë des enfants maltraités n’était pas reconnue par les soignants. Ces enfants avaient des scores d’évaluation de la douleur étonnamment bas pour des traumatismes sévères. Cette étude a été suivie par un PHRC : Antalped. Notre hypothèse était que les enfants maltraités n’expriment pas la douleur aiguë de la même façon que les enfants non maltraités. L’objectif principal était d’étudier si la douleur aigüe des enfants maltraités était sous évaluée, par rapport à celle d’enfants présentant les mêmes traumatismes, hors contexte de maltraitance. Les objectifs secondaires étaient les comparaisons des scores d’évaluation de la douleur, médecins versus infirmières, dans les services d’urgences pédiatriques, et l’étude de la concordance entre les traitements antalgiques administrés et ceux recommandés en fonction des traumatismes. Méthode Nous avons réalisé une étude cas contrôle, prospective, multicentrique dans 4 services d’urgences pédiatriques (3 CHU et 1 CHG) de mars 2009 à avril 2013. Les critères d’éligibilité étaient : enfant de moins de 6 ans ; traumatisme datant de moins de 7 jours ; traumatisme à type de brûlure et/ou de fracture ; enfant capable d’exprimer sa douleur ; enfin, les parents devaient accepter la participation de leur enfant dans l’étude (non-opposition). Le critère de jugement principal était l’évaluation de la douleur aigüe, en utilisant des échelles d’évaluation validées. Nous avons défini deux populations : • les enfants cas : il s’agissait d’enfants ayant au moins un signe de maltraitance (Société francophone de médecine d’urgence : conférence de consensus 2004)(6) ; aucune cause plausible de traumatisme n’était retrouvée. • Les enfants témoins : enfants n’ayant aucun signe de maltraitance ; une cause plausible pour le traumatisme n’était pas identifiée. L’appariement cas-témoins a été fait selon l’âge (< 18 mois et > 18 mois) et le type de traumatisme (fracture déplacée, fracture non déplacée, brûlure localisée et superficielle, brûlure profonde et étendue). L’évaluation de la douleur aiguë a été réalisée à l’accueil des urgences pédiatriques par un médecin et une infirmière, avant administration de traitement antalgique. Nous avons utilisé les échelles d’évaluation du Neonatal Facial Coding System (NFCS) (< 18 mois) et le Children’s Hospital of Eastern Ontario Pain Scale (CHEOPS) (> 18 mois)(7-8). Nous avons ainsi obtenu trois groupes : ADR : Avec Douleur Reconnue (NFCS > ou = 1, CHEOPS > ou = 9) SDR : Sans Douleur Reconnue (NFCS < 1, CHEOPS < 9) ADD : Avec Douleur Douteuse (discordance entre score médecin et infirmière). Résultats Soixante-dix-huit enfants ont été inclus, avec 39 enfants dans chaque groupe. Lorsque nous étudions l’évaluation globale (scores des médecins et des infirmières), nous ne retrouvons pas de différence significative entre les deux groupes (p = 0,162). En revanche, il existe une différence significative entre les enfants castémoins sans douleur reconnue (SDR), évalués par les médecins (p = 0,041). Soixante-neuf pour cent des enfants cas n’avaient pas de douleur reconnue, versus 43,6 % des enfants témoins. Il n’y a pas de différence significative entre les deux groupes au regard des évaluations des infirmières (p = 0,655). Ces différences peuvent être notamment expliquées par les lieux d’évaluation différents. En effet, les infirmières évaluaient les enfants à l’accueil des urgences, alors que les médecins les évaluaient dans les pièces individualisées pour la consultation et avant l’examen clinique. Nous n’avons pas constaté de concordance significative entre les traitements administrés et ceux recommandés selon les traumatismes. SDR : sans douleur reconnue. Discussion Antalped est la première étude évaluant la douleur aiguë des enfants maltraités. Les évaluations médicales montrent 69,2 % de SDR chez des enfants maltraités versus 43,6 % chez des enfants témoins, confirmant notre hypothèse d’une sous-évaluation de la douleur aiguë des enfants maltraités. En outre, les traitements antalgiques administrés sont insuffisants par rapport à la sévérité des traumatismes. Les hypothèses qui pourraient expliquer ce phénomène sont entre autres une sidération des soignants ainsi qu’une dissociation psychotraumatique de l’enfant maltraité, qui se présenterait comme un enfant anesthésié. Conclusion Les enfants maltraités n’ont pas le même comportement douloureux lors d’un traumatisme aigu que des enfants sans contexte de maltraitance. Un enfant ayant un traumatisme sévère sans signe apparent de douleur doit nous faire suspecter un cas de maltraitance. C’est un argument supplémentaire pour le diagnostic de maltraitance. Être plus vigilant sur ces comportements permettrait aussi d’améliorer les prises en charge antalgiques de ces enfants. • Bibliographie sur simple demande à la rédaction : biblio@len-medical.fr

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