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Psycho-social

Publié le 06 sep 2010Lecture 8 min

L’enfant qui n’aime pas les morceaux

C. DOYEN, Hôpital Robert-Debré, Paris
Dans le Service de psychopathologie de l’enfant et de l’adolescent de l’hôpital Robert-Debré (Paris), les jeunes enfants présentant des troubles du comportement alimentaire bénéficient d’une consultation spécialisée. Pour bien manger, il faut bien se développer et certaines étapes sont à ne pas méconnaître.
Dans une population d’enfants d’âge préscolaire et scolaire primaire, un comportement alimentaire inhabituel concerne une hypersensibilité à la texture (3 %) ; une phobie de la déglutition (3 %) ; une alimentation sélective (33 %) et une alimentation restrictive (28 %). L’enfant qui n’aime pas les morceaux appartient en majorité à la catégorie des enfants sélectifs ou phobiques de la déglutition. Le développement sensori-moteur L’alimentation du nouveau-né requiert qu’il dispose d’un axe corporel constituant une base sensori-tonique, dont la régulation au cours du développement permettra ensuite un affinement de ses capacités motrices, comme celle de la sphère oropharyngée (1). Des études ont ainsi montré que des manipulations posturales ou la stimulation douce de la joue des prématurés favorisent leur alimentation. Pour bien s’alimenter, le nouveau-né doit aussi disposer d’un pattern de succion-déglutition fonctionnel. La succion est active dès la 12e semaine de grossesse, mais la maturation de la coordination succion-déglutitionrespiration est acquise plus tard, avant 32 semaines de grossesse, l’alimentation stable et active étant achevée entre 34 et 36 semaines de grossesse. Les résultats d’études menées sur l’empreinte olfactive du nouveauné à partir de modèles animaux ou de l’observation d’enfants nés prématurément indiquent que le développement du système olfactif et l’orientation des préférences et des aversions du nouveau-né dépendent d’expériences chimiosensorielles foetales. Ainsi, les nouveau-nés qui reconnaissent l’arôme auquel ils ont été exposés en anténatal manifestent plus de réponses hédoniques que les nouveau- nés non exposés (2,3).   Le développement affectif et l’attachement Des observations éthologiques, pour partie en lien avec l’alimentation, ont conduit John Bowlby à élaborer la théorie de l’attachement. La réflexion de cet auteur s’est inspirée des observations de Harry Harlow, qui, en 1958, a constaté qu’en situation expérimentale de jeunes singes rhésus allaités par un mannequin préféraient être nourris par un mannequin au contact soyeux plutôt que par un mannequin métallique. Ainsi, le toucher et la perception corporelle en situation d’alimentation participent au processus de développement et d’attachement chez les singes rhésus. Par la suite, les travaux de Mary Ainsworth ont montré une corrélation positive entre l’attachement sécurisé à la mère et le statut nutritionnel de l’enfant. Les enfants qui développent des stratégies d’attachement sécurisées explorent leur environnement, notamment alimentaire, de façon plus élargie.   Deux étapes clés du développement du comportement alimentaire : le sevrage et l’introduction des solides Les recommandations actuelles issues de l’OMS encouragent l’allaitement maternel exclusif jusque l’âge de 6 mois, puis une introduction progressive de laits maternisés ou d’aliments solides au cours de l’année suivante. Toutefois, cela ne semblerait pas correspondre à la réalité des pratiques maternelles, car les mères cesseraient plus précocement l’allaitement maternel, parfois dans le mois qui suit la naissance, et introduiraient très rapidement les solides, comme en témoigne l’étude de M.S. Fewtrell et coll. (2003), qui indique que, dans 6 à 19 % des cas, les mères introduisent les solides dès la 6e semaine de vie. Les facteurs qui concourent à une introduction plus rapide des solides sont pour majorité le niveau éducatif et socioéconomique des mères : plus ce niveau est élevé, plus tardif sera le sevrage. Quant aux raisons qui motivent les mères à cesser l’allaitement maternel, il s’agirait essentiellement de craintes de ne pas être suffisamment « nourricières ». Connaissant la possibilité de ces pratiques maternelles de passage rapide à une alimentation solide, le plus souvent régies par des contraintes socio-économiques, et pour prévenir d’éventuelles difficultés de comportement alimentaire ultérieures, nous pouvons informer les mères que l’acceptation de nouvelles textures va dépendre du fonctionnement oro-moteur de leur enfant : les enfants de 6-12 mois répondent de façon négative aux textures difficiles à mastiquer, alors qu’à 13-22 mois ils sont plus positifs face à ces textures. À 6 mois, seulement 5 % des enfants consomment des morceaux, mais 100 % consomment de la purée, alors qu’à 18 mois seulement, 55 % d’entre eux consomment de la purée mais 100 % consomment des morceaux (4). Les réponses aversives après le sevrage concernent surtout les légumes : dans un groupe de dyades européennes mèreenfant, 80 % des nouveau-nés âgés de 5 et 8 mois manifestent une aversion envers les légumes, ce qui fait abandonner les présentations par les mères après seulement deux essais. Mais si pendant 16 jours l’aliment est proposé en alternance avec un légume apprécié, alors la consommation augmente après 7 ou 8 expositions, et cet effet semble se maintenir dans le temps. À 6 mois, seulement 5 % des enfants consomment des morceaux. L’introduction des solides dépend aussi de la sensibilité des enfants à la nouveauté. La néophobie alimentaire fait partie du développement normal du comportement alimentaire : elle est présente chez 77 % des enfants âgés de 2 à 10 ans. Mais cette néophobie est intense pour 6 % de ces enfants et s’apparente alors à un trouble phobique, la psychopathologie de cette phobie semblant encore complexe à comprendre (5). Exposer répétitivement mais de façon limitée dans le temps l’enfant à la nouveauté alimentaire en respectant son seuil de néophobie. La néophobie alimentaire est présente chez 77 % des enfants âgés de 2 à 10 ans.   Les troubles du comportement alimentaire de l’enfant d’âge scolaire La phobie de déglutition est typiquement associée à des manifestations anxieuses lors de la confrontation à certains aliments ou certaines situations nécessitant de déglutir. Elle peut survenir au décours d’une fausse route vécue par le sujet ou à laquelle il aurait assisté. Il faut rechercher l’existence d’un abus sexuel. Sa prévalence life-time a été évaluée aux environs de 16 % d’une population adulte. Pour ces sujets souffrant de phobie de la déglutition, les approches cognitives et comportementales appliquées par des thérapeutes expérimentés sont très bénéfiques. Il s’agit d’aider l’enfant à gérer son anxiété lors des repas et à accepter très progressivement de manger les aliments évités. En cas d’alimentation sélective, garçons et filles vont témoigner d’une réticence à manger certains aliments, devenant sélectifs du fait du dégoût intense suscité par ceux-ci et évitant alors toute nouvelle expérience alimentaire. Certains enfants sélectifs témoignent aussi d’une hypersensibilité sensorielle aux aliments qui va les entraver dans leurs choix alimentaires. Pour ces jeunes enfants sélectifs, l’indication même d’un traitement peut être discutée, car ils verront dans la majorité des cas leurs difficultés s’amoindrir au seuil de la préadolescence ou de l’adolescence. Mais ces échéances semblent bien lointaines aux parents angoissés et démunis devant un enfant petit identifié socialement comme « mal nourri ». Aussi est-il important de comprendre comment s’inscrit le comportement alimentaire dans la dynamique familiale mais, au final, la prise en charge revient souvent à leur montrer, ainsi qu’aux autres membres leur famille, que leur enfant se porte bien et que son comportement alimentaire doit être accepté en l’état (2). Il faut aussi alerter les professionnels sur le caractère très pathologique de certains comportements sélectifs en cas notamment de troubles du développement et il faut être vigilant sur l’existence de troubles atypiques, comme le syndrome d’Asperger, ou bien encore de troubles génétiques, à l’origine d’un petit poids de naissance, de retard de croissance et de retard des acquisitions. Nous savons que, dans le cadre des troubles du développement, 80 % des enfants présentent des difficultés alimentaires et dans les populations d’enfants avec autisme, 75 % des garçons ont un indice de masse corporelle inférieur au 50e percentile et 21 % d’entre eux ont un IMC inférieur au 5e percentile. La phobie de déglutition et l’alimentation sélective sont en général un très bon pronostic d’évolution.  Conclusion Il n’est pas grave de ne pas aimer les morceaux pour un enfant, mais le retentissement négatif familial et social de ce comportement ne doit pas être négligé. 

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