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Comportement

Publié le 01 nov 2015Lecture 8 min

Une fatigue évoquant une dépression chez l'enfant

M. ZANNOTTI, Psychiatre de l’enfant et de l’adolescent, hôpital Necker-Enfants malades ; Centre de spécialités pédiatriques de Boulogne-Billancourt

Le présent article a pour objectif, dans une perspective pratique, de mettre en place les éléments explicites et implicites inhérents à l’orientation diagnotique dans des tableaux de fatigue en psychiatrie de l’enfant ou de l’adolescent.

Qui est fatigué ? Il convient d’abord de considérer le contexte de la question : fatigue oui, mais qui est fatigué ? La fatigue de l’enfant peut constituer un signe d’alerte quant à un trouble de l’humeur, mais ce signe est dépourvu de toute valeur d’orientation spécifique vers la sphère psychopathologique, puis à l’intérieur de celle-ci vers la dépression. Il convient donc d’éliminer des causes somatiques et, une fois le champ réduit à la dimension psychologique, il laisse encore un large éventail à des étiologies psychiques diverses. Cependant, avant de revenir à l’enfant fatigué, retenons dès maintenant d’autres fatigues ou plutôt d’autres fatigués : l’enfant fatiguant pour ses parents mérite toute notre attention au même titre que celui qui est fatigué. La turbulence, l’hyperkinésie, la désobéissance systématique, l’agitation ou l’intolérance à la frustration sont autant de signes d’un possible mal-être dans l’ordre dépressif. Or, ce sont les parents qui évoqueront au pédiatre, souvent sans y penser, leurs fatigues et en aucun cas celle de l’enfant « pas du tout fatigué ».   Déprimé et fatiguant   Les enfants Zébulon en situation dépressive Calvin, petit garçon âgé de 5 ans, multiplie les traits de turbulence et d’opposition que nous évoquions. Les parents, pourtant équilibrés, sont exténués : « Calvin est odieux et insupportable ». Les punitions pleuvent et ne servent à rien…, sauf à le conforter dans son profond sentiment d’impuissance. Convaincu de son absence de valeur, il cherche à se rassurer, à se prouver qu’il lui en reste quelque chose par la confrontation aux figures ou aux règles d’autorité. C’est ce qu’il dévoile à l’entretien, en accompagnant d’un dessin son lourd commentaire (figure 1).   Figure 1. Zébulon dont le ressort est cassé (dessin libre).   « Il est seul sur le bateau à moteur. On note tout de suite la taille du moteur, à la hauteur de la puissance dont Calvin voudrait être pourvu. Le dessin ne comporte alors que le petit personnage de gauche avec la bouche triste en zig-zag seul en mer. – Son papa et sa maman ont été emportés par une vague… – Je vais dessiner le papa et la maman, tu vas voir où je vais les mettre. Il les représente alors à la droite du dessin : sur la vague qui les ramène du fond. Malheureusement, l’apparente réparation est de courte durée : – Puis il y a une immense vague qui prend le papa et la maman… – Ils sont morts. » Ainsi, le jeune Calvin vient nous parler de sa souffrance, de son angoisse de disparition de ses parents, de son désir d’être assez fort pour les protéger et de sa violente désillusion, confronté à son impuissance, qui le conduit à redouter l’inéluctable qu’il imagine. Ce Zébulon n’est plus qu’un petit rebelle dont le ressort est durablement tordu, voire définitivement cassé.   La fatigue dans la dépression de l’enfant Revenons maintenant à la fatigue de l’enfant lui-même. Celle-ci a certes une valeur de signe, mais elle est dépourvue de toute spécificité. Nous ne la considérerons comme symptôme qu’accompagnée d’une nuée d’autres signes dont la somme converge vers l’hypothèse diagnostique de la dépression. Notre attention sera surtout attirée par l’inscription de ce ou ces symptômes dans le temps vécu de l’enfant qui souligne la valeur signifiante du trouble : – la notion de rupture avec l’état antérieur est quasi constante ; – celle d’une chronologie, souvent à distance, avec des événements de vie est fréquente.   Pourquoi y penser ? De manière factuelle, le premier argument est celui de fréquence : la dépression n’est par rare chez les enfants comme chez les adolescents. Ainsi, nous garderons en mémoire une prévalence de la dépression évaluée de 2 % (île de Wight, 1970) à 6 % (NY 1993) que nous confrontons, pour mémoire, à celle comparable, de 3 % chez l’adulte. Or nos collègues médecins généralistes y pensent trop souvent, alors qu’en milieu pédiatrique nous concevons ce diagnostic si exceptionnel que nous ne l’évoquons qu’avec difficulté. Quand l’enfant est orienté, il s’avère qu’il s’agit d’une situation fréquente, puisque le diagnostic représente 10 à 15 % des consultations pédopsychiatriques. L’épidémiologie nous offre également d’autres indications qui nous orientent dans la clinique quotidienne : l’existence d’une sur-représentation masculine jusqu’à la puberté qui s’inverse ensuite (avec une prédominance féminine comme chez les adultes). Une étude menée par Marie Coquet nous invite à poser la question de ce mal-être aux adolescents, qui en effet interrogés à ce propos dans un large échantillon en population générale, se déclarent « assez souvent déprimés » pour 7,5 % des garçons et 22,5 % des filles.   Pourquoi ne pas trop y penser ? Afin d’y voir clair, il nous faut penser aux « variations de la normale » de l’humeur de l’enfant. En tant qu’être en devenir, il connaît et traverse des moments de développement et des crises maturatives qui sont autant d’expériences d’affects de perte, et donc de dépressivité. Ainsi chez les plus jeunes, la position dépressive émerge selon Mélanie Klein du processus de développement psychique à partir du 4e mois de vie et comme un prototype du modèle de dépression de la vie à venir. Plus tard, vers le 8e mois, c’est la classique angoisse de l’étranger reconnue par René Spitz qui a une valeur dépressive normale pour l’enfant séparé de ses figures parentales. Quand l’enfant grandit, l’épisode de la résolution de l’Œdipe, au sens freudien, est un bon archétype des mécanismes de perte fantasmatique auquel l’enfant se confronte : renoncer à son objet d’amour premier, convenir de sa propre impuissance face au parent de même sexe, et le voilà confronté au début d’une longue, triste et répétitive histoire de sa vie. De manière plus générale, chaque événement de vie porte une part de manque, de perte ou de renoncement naturellement inducteur de ces mouvements de deuil  transitoires. Les affects qui les accompagnent sont ceux de cette dépression normale qu’est le deuil. Chez l’adolescent, hormis les changements subis, le temps vécu promeut la remise en question au prix de la perte des acquis précédents. C’est le temps des « trucs qui font bien bader ». L’expression est neuve mais recouvre ce qu’auparavant nous nommions la morosité juvénile.   Comment chercher la dépression de l’enfant ? La dépression « masquée », c’est ainsi qu’elle fut décrite pendant de longues années. Sous cette expression laconique, on décrivait cliniquement dépression qui se dissimule sous des tableaux strictement somatiques. Bien sûr, c’est un mode par lequel un enfant jeune exprime un malaise, mais il est réducteur de le considérer comme exclusif. Ne pourrions-nous pas inférer que la sous-représentation de ce diagnostic chez l’enfant en fut la conséquence par le passé ? Dans les faits, Mouren-Siméoni insiste sur la coexistence des signes physiques et des signes psychiques. Reste que ces derniers demandent à être recherchés car, au contraire des troubles somatiques, ils ne sont pas présentés comme des plaintes de la part de l’enfant. Leur expression se fait par les conduites, ou est projetée dans des représentations que l’enfant en donne dans le dessin ou le jeu. Ainsi, nous n’attendrons pas de l’enfant, et parfois même de l’adolescent, une verbalisation spontanée de sa souffrance psychique, il nous faudra aller la rechercher. Dans la rencontre avec l’enfant c’est une cartographie de la nébuleuse des signes, que nous évoquions plus haut que nous cherchons à établir. • Des marqueurs de l’humeur : de la tristesse, une expression réduite : la mimique pauvre ou une voix qui s’étiole, des pleurs faciles ou inexpliqués, une conviction péjorative de responsabilité envers ses proches ou le monde environnant ; chez les plus grands, des sentiments d’échec, d’infériorité voire de culpabilité. • Un ralentissement qui se signe dans la fatigabilité autant que dans la fatigue, la lenteur, une tendance à s’isoler. • L’inhibition transparaît aussi dans les retraits d’investissement avec la perte des intérêts antérieurs, la labilité de l’attention, la baisse des résultats scolaires, l’abandon des activités extrascolaires, le renoncement aux jeux (figure 2).   Figure 2. Image d’inhibition : 30 minutes de dessin pour une famille d’étoiles. La noire est une maman fort déprimée, la moyenne « saigne »et représente la jeune dessinatrice, la petite sa jeune sœur.   • Le sentiment d’impuissance évoqué chez le turbulent auparavant, apparaît ici sous forme d’ennui ou d’irritabilité. L’absence de demande d’aide s’en justifie par l’incompréhension de l’enfant quant à ce qui lui arrive. Cette impuissance conduit à des attitudes de défense comme l’hyper vigilance et l’agressivité, puis au sentiment d’inutilité, s’enfonçant vers celui de nullité et enfin de rejet, voire de déchet.  

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