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Apprentissages

Publié le 04 jan 2017Lecture 10 min

Troubles des apprentissages révélant des troubles cognitifs

Yves CHAIX, Unité de neurologie pédiatrique, hôpital des Enfants (CHU Purpan) et Université Toulouse 3 - Paul Sabatier, Inserm, UMR 1214 ToNIC

« Docteur, mon enfant a du mal à apprendre : s’agit-il d’un trouble cognitif ? » Parmi les différentes plaintes qui peuvent amener des parents à consulter le pédiatre pour leur enfant, celle des difficultés d’apprentissage occupe une place grandissante. Les causes de ces difficultés sont multiples et, dans un certain nombre de cas elles sont révélatrices d’un trouble cognitif, c’est-à-dire secondaire à un dysfonctionnement d’une ou parfois plusieurs fonctions cérébrales supérieures.

Les étapes de la démarche diagnostique Préciser les difficultés d’apprentissage Face à la plainte « mon enfant a du mal à apprendre », la démarche clinique avec l’interrogatoire de l’enfant et son entourage reste l’étape clé. Il conviendra de préciser depuis combien de temps ou à partir de quel niveau scolaire ces difficultés ont pu être repérées, et quels domaines de l’apprentissage sont particulièrement concernés : lecture, écriture, mathématiques, voire l’ensemble des apprentissages. Préciser les conditions d’apprentissage Pour apprendre correctement, l’enfant doit disposer d’un environnement familial propice, d’un équipement neuro-sensoriel fonctionnel et d’une histoire médicale ne constituant pas une entrave aux apprentissages. Pour l’environnement, le médecin doit se préoccuper des conditions psycho-affectives entourant l’enfant et des conditions socio-culturelles dans lesquelles il évolue. Une partie non négligeable des difficultés scolaires sont en lien avec un de ces deux facteurs : dans ces deux cas, l’enfant, malgré un équipement cognitif normal, est empêché dans ses apprentissages ; citons comme exemple des difficultés scolaires constatées chez un enfant subissant des sévices ou des négligences de la part de l’entourage familial, ou l’enfant évoluant dans un milieu social défavorisé avec un absentéisme scolaire important. • Il conviendra de s’assurer que sur le plan neuro-sensoriel, vision et audition sont normales. Bien sûr, un déficit profond d’un de ces deux sens pourra conduire à des difficultés d’apprentissage secondaires, qu’il conviendra de repérer et de prendre en charge de manière précoce et adaptée. Mais l’évaluation de ces sens aura aussi pour objectif de repérer des facteurs aggravants surajoutés (par exemple, un enfant dyslexique avec une myopie non dépistée). • L’histoire médicale de l’enfant débute dès la grossesse, avec parfois un fœtus exposé à des facteurs environnementaux néfastes pour le développement cérébral (comme des facteurs infectieux ou toxiques). La croissance intrautérine (notion de retard de croissance intra-utérin) et le terme de la grossesse (notion de prématurité) sont des éléments à préciser puisqu’ils constituent des sources de vulnérabilité lorsqu’ils sont anormaux. Il faudra être attentif à la qualité de l’adaptation de l’enfant à la vie extra-utérine (évaluer par les circonstances de la naissance et le score d’Apgar). Il faudra également repérer les antécédents médicaux ayant pu interférer avec le développement et dont on reconstituera la trajectoire en analysant la situation actuelle de l’enfant par rapport à des normes du développement et non à sa dynamique de développement. Les notions de régression ou de stagnation sont toujours des situations préoccupantes, qui nécessitent une consultation rapide chez un neuro-pédiatre. • L’examen reste indispensable face à une plainte vis-à-vis des apprentissages. La mesure du périmètre crânien avec la reconstitution d’une courbe reste le meilleur moyen d’apprécier le développement cérébral de l’enfant. Des corrélations existent entre l’existence d’une microcéphalie et le pronostic cognitif. Parfois, l’examen orientera d’emblée vers des troubles de l’apprentissage secondaires à une pathologie génétique (syndrome dysmorphique pour un syndrome de l’X fragile ou anomalie cutanée pour une neurofibromatose) ou une pathologie acquise (comme le syndrome d’alcoolisation fœtale). Docteur, mon enfant a du mal à lire… Cas clinique 1 Vous recevez à la consultation un enfant de 8 ans, C., qui présente des difficultés scolaires. C. est scolarisé en CE1, après avoir redoublé le CP. Il présente des difficultés d’apprentissage pour la lecture et les mathématiques. L’enseignant précise qu’il n’accède pas au sens des textes lus et a un comportement assez agité en classe. C. est le deuxième enfant d’une fratrie de deux. On ne repère pas d’antécédent particulier sur le plan familial. Les deux parents sont présents à la consultation, préoccupés par la situation de leur enfant. On ne note pas d’antécédent particulier sur le plan périnatal ou postnatal. La marche a été acquise à 16 mois. La propreté vésicosphinctérienne est acquise. C. est suivi en rééducation orthophonique (il débute sa troisième année), et le diagnostic de dyslexie a été évoqué. Les bilans neurosensoriels sont normaux, de même que les examens clinique et neurologique. La finalité de la lecture est bien sûr la compréhension, mais cette dernière résulte de l’interaction entre la capacité de reconnaissance des mots et de compréhension orale. Un enfant ayant des difficultés de compréhension en lecture pourra avoir soit des difficultés dans la reconnaissance des mots, soit des difficultés dans la compréhension du langage oral, soit une combinaison des deux difficultés. Avant d’envisager un trouble spécifique du langage oral ou écrit, face à des difficultés de compréhension de lecture associées de plus à des difficultés en mathématiques, le pédiatre doit se poser la question d’un déficit cognitif général comme observé dans la déficience intellectuelle. Dans ce contexte, les difficultés de reconnaissance des mots ne sont pas constantes, contrairement aux difficultés de compréhension de lecture qui le sont, et proportionnellement au niveau intellectuel. En général, ces difficultés s’aggravent avec l’avancée dans le cursus scolaire, au fur et à mesure que l’apprentissage mobilise des concepts de plus en plus abstraits. Dans la dyslexie développementale, le déficit porte sur la reconnaissance des mots de manière fluente et/ou exacte. Une telle difficulté engendre de façon secondaire des difficultés d’accès au sens, qui vont progressivement se normaliser avec la prise en charge rééducative. Les travaux de recherche actuels permettent de distinguer sur un plan cognitif trois types principaux de dyslexie (la proportion exacte de chacun des sous-types reste encore à préciser) : – des enfants présentant un déficit pour les processus phonologiques incluant la métaphonologie, la dénomination rapide et les épreuves de mémoire phonologique à court terme. Les deux premiers étant des marqueurs largement ubiquitaires pour les langues alphabétiques indo-européennes ; – des enfants présentant, alors même que leurs capacités phonologiques sont respectées, une limitation de leurs capacités visuo-attentionnelles : on entend par cela une réduction de leur fenêtre visuo-attentionnelle mesurée par des tâches spécifiques. L’amplitude de cette fenêtre visuo-attentionnelle (ou empan visuo-attentionnel) étant le nombre de lettres distinctes traitées simultanément au cours d’une seule fixation ; – des enfants présentant un double déficit associant une altération des processus phonologiques et une limitation de la fenêtre visuo-attentionnelle. L’existence de ces deux déficits cognitifs indépendants est aussi soutenue par la mise en évidence de réseaux neuronaux distincts au niveau cérébral pour chacun des processus. Les difficultés de compréhension de lecture sont également un signe d’appel des troubles spécifiques du langage oral ou dysphasie de développement. Le trouble du langage sévère est préexistant à l’apprentissage de la lecture. Ces enfants mettront en place ou non des procédures de reconnaissance des mots, mais leur accès au sens des mots lus sera limité au prorata des déficits phonologiques, syntaxiques et/ou sémantiques qui caractérisent leur profil linguistique. Docteur, mon enfant a du mal à compter… Cas clinique 2 M. est âgée de 8 ans et est actuellement scolarisé en CE2. Elle a appris à lire sans difficultés au CP, mais éprouve de fortes difficultés en mathématiques. Elle s’exprime correctement à l’oral et prend aisément la parole en classe. Elle lit bien et comprend ce qu’elle lit. En revanche, elle rencontre des difficultés pour les exercices de calcul mental, elle utilise ses doigts pour des opérations simples comme les additions à 1 ou 2 chiffres. Elle est gênée par des consignes orales trop longues. M. est l’enfant unique d’un couple sans antécédent. Elle est née au terme d’une grossesse de déroulement normal, sans notion de souffrance périnatale. Elle a présenté un développement psychomoteur normal, a parlé tôt et n’a jamais été hospitalisée. Elle porte des lunettes pour une hypermétropie. Son examen est normal. Face à un enfant ayant des difficultés d’apprentissage dans le domaine des mathématiques, et après avoir écarté l’hypothèse d’une déficience intellectuelle, le pédiatre peut envisager schématiquement deux possibilités : les difficultés sont en lien avec un déficit cognitif non spécifique au calcul, comme le déficit de mémoire de travail, appréhendé généralement par des tâches d’empan, ou un déficit cognitif plus spécifique au calcul. Les modèles modernes de la numération proposent une représentation du nombre sous forme de trois codes interdépendants : verbal, arabe et analogique. Les codes verbal et arabe sont dépendants des compétences de langage oral ou écrit, indispensables à la construction du sens du nombre, et vont expliquer les difficultés en mathématiques chez les enfants présentant des troubles spécifiques du langage. Le code analogique représente la magnitude du nombre et permet des opérations comme les estimations de quantité : il s’agit d’une aptitude cognitive essentielle aux apprentissages mathématiques, et déficitaire chez les enfants ayant une dyscalculie développementale dite pure et isolée, qui est considérée comme rare. Docteur, mon enfant a du mal à écrire… Pour certains enfants, la plainte prédomine nettement au niveau de l’écriture. Dans cette 3e situation, on peut schématiquement envisager une difficulté au niveau de l’orthographe ou du geste graphique, qui va nuire à la lisibilité. Généralement, l’enfant qui présente des difficultés pour la transcription de l’oral à l’écrit présente également des difficultés pour la lecture (les enfants dyslexiques sont également dysorthographiques). Dans le deuxième cas, c’est le geste moteur qui est altéré : l’examen du pédiatre est alors important afin de s’assurer que ce trouble moteur n’est pas révélateur d’une pathologie neurologique (par exemple un syndrome cérébelleux) ou d’une maladie neuromusculaire. Si tel n’est pas le cas, une dysgraphie peut survenir de façon isolée ou s’inscrire dans un cadre plus large de trouble d’acquisition de la coordination (figure). Docteur, mon enfant a du mal à apprendre… Cas clinique 3 A. est âgé de 7 ans et est actuellement scolarisé en CE1. Il présente des difficultés scolaires en français comme en mathématiques, avec beaucoup d’irrégularité dans les résultats. Une agitation importante est présente à l’école et à la maison. Les parents, relativement patients, sont au bord de l’épuisement. Le professeur de judo pense que l’enfant ne va pas pouvoir poursuivre cette activité car il n’écoute aucune consigne. L’institutrice convoque les parents régulièrement, et juge son écriture et la tenue des cahiers en général catastrophique. L’agitation est ancienne. A. n’a aucun antécédent médical ou chirurgical significatif. Son développement n’a pas posé de problème particulier. Le papa d’A. se retrouve dans le comportement de son enfant. Il est très différent de sa soeur décrite comme calme, posée et studieuse, actuellement en seconde générale sans difficultés repérées. L’examen d’A. est normal, de même que les bilans neurosensoriels. Face à des difficultés généralisées en classe, la première question est avant tout celle de la déficience intellectuelle. Bien sûr, l’association des troubles « dys » est fréquente mais portée actuellement de plus en plus facilement. Parfois, le déficit d’une fonction cognitive peut avoir un retentissement diffus et en cascade sur l’ensemble des apprentissages, comme le déficit de l’attention qui peut être isolé ou entré dans le cadre d’un syndrome dysexécutif. Conclusion et points clés Aujourd’hui, au vu de la littérature, on peut estimer que parmi les 16 à 25 % des élèves présentant des difficultés scolaires, 10 % des difficultés sont purement environnementales, 2 à 3 % de ces élèves présentent une déficience intellectuelle et 5 à 10 % un trouble spécifique de l’apprentissage, qui survient de façon inattendue par rapport à de réelles capacités cognitives. Les difficultés d’apprentissage sont donc liées à différentes étiologies et aujourd’hui les enfants sont qualifiés trop facilement de « dys » alors qu’ils ne représentent qu’une partie des enfants ayant du mal à apprendre. Les troubles « dys » englobent non seulement les troubles spécifiques de l’apprentissage (il s’agit de la dyslexie-dysorthographie, la dyscalculie et la dysgraphie développementales) mais aussi les troubles spécifiques du développement du langage oral (TSLO ou dysphasie développementale) et de la coordination motrice (trouble d’acquisition de la coordination ou dyspraxie développementale), ainsi que le trouble déficitaire de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH). Dans cet exposé, nous avons essayé de fournir au pédiatre les outils pour une démarche diagnostique adaptée, en repartant du signe d’appel (délimitation de la plainte et domaine d’expression) afin d’envisager les diagnostics possibles. Dans certains cas, un déficit cognitif sera mis en évidence (déficit des processus phonologiques ou visuo-attentionnels, déficit du sens du nombre, déficit en mémoire de travail, déficit de l’attention), ce qui permettra de proposer une prise en charge ciblée et adaptée.

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